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Arbitraire, violences, corruptions à l’intérieur, compromissions suspectes et dangereuses à l’extérieur, c’est tout cela qui a préparé la ruine du cabinet de M. Bratiano, en le dépopularisant, en donnant des armes à ses adversaires. Déjà les symptômes du déclin ministériel étaient apparus aux élections dernières, au mois de février. Le ministère, usant et abusant de ses moyens d’influence, avait réussi, il est vrai, à garder encore une assez forte majorité ; il a retrouvé ses mamelucks ! Malgré tout, cependant, l’opposition, composée de conservateurs et de libéraux dissidens, s’était sensiblement accrue, et de plus il était clair que cette opposition avait désormais pour elle le sentiment public inquiet et troublé, qu’elle répondait à un mouvement d’opinion. M. Bratiano sentait si bien les difficultés croissantes de sa position, que, le mois dernier, aux premiers jours de mars, il croyait devoir donner sa démission, au moins en apparence ; mais c’était le moment où le roi Charles allait se rendre aux funérailles du chef de sa famille, de l’empereur Guillaume, et soit qu’il cédât à une nécessité de circonstance, soit qu’il espérât encore réchauffer par cette tactique d’une fausse sortie le zèle de ses partisans, le chef du cabinet restait au pouvoir. Malheureusement, s’il y avait un calcul, il a été trompé, et le voyage du roi Charles à Berlin, la visite qu’il a faite à Vienne n’ont été qu’une complication de plus, un signe nouveau d’une intimité qui trouble le sentiment national. Une certaine agitation a commencé à Bucharest : des processions populaires se sont organisées, parcourant la ville au milieu d’une surexcitation croissante, et alors des scènes au moins malheureuses ont éclaté. Une manifestation, conduite par quelques députés, s’est présentée au parlement et a rencontré une répression maladroitement brutale. Il y a eu une bagarre où un pauvre diable d’employé de la chambre a été tué, où quelques députés ont été arrêtés. Le cabinet s’est fait absoudre par un vote de confiance de sa majorité : la situation n’en a pas été meilleure ; les manifestations n’ont pas discontinué, elles ont même essayé d’arriver jusqu’au palais du souverain, et en définitive le ministère a disparu dans cette aventure. Il avait été déjà gravement compromis par les scandales de l’administration de la guerre qui se sont déroulés récemment devant les tribunaux ; il a été achevé par une répression inutilement sanglante. C’est la médiocre et triste fin d’un règne ministériel qui a duré plus de dix ans.

Est-ce également la fin d’une politique disparaissant avec M. Brationo ? C’est là le problème qui n’est peut-être encore ni résolu ni même bien éclairci à Bucharest. Un nouveau ministère a été constitué sans doute. Il a pour chef un homme qui est en dehors du parlement, M. Rosetti, naguère encore président de la cour de cassation roumaine, fils du vieux patriote Rosetti, mort il y a quelque temps déjà. Le ministre des affaires étrangères est M. Carp, qui a représenté la