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encore à une victoire pour l’ancien commandant du 13e corps. La coïncidence est au moins étrange, et si M. le président du conseil n’a pas d’autres armes, d’autres moyens pour combattre le général Boulanger, il pourrait lui préparer de nouveaux succès. Le fait est que ce ministère d’hier sert le mouvement dictatorial par la fatalité de ses entraînemens, par ses promesses révolutionnaires, aussi bien que par ses incohérences. La chambre elle-même l’a senti, elle a fait sentir l’aiguillon à M. Floquet, et par la froideur de son accueil, et par l’empressement soupçonneux qu’elle a mis à abréger ses vacances de printemps, et par l’élection à la présidence d’un homme à l’esprit éclairé et modéré, M. Méline, qui n’est point évidemment l’élu des radicaux. Toute une partie républicaine de la chambre a dit, par ces premières manifestations, à M. le président du conseil, qu’elle ne se sentait pas représentée par lui ni même rassurée. Non, décidément, le ministère de M. Floquet n’est pas le gouvernement de la situation difficile et obscure où nous entrons. Il faut une autre politique, une autre direction ; il faut que de cette crise il sorte un gouvernement fait pour défendre la dignité des institutions et de la vie publique contre le radicalisme envahissant aussi bien que contre le césarisme menaçant, et ici, il est bien clair que, pour refaire ce pouvoir sérieux, nécessaire, le moyen unique est l’alliance de toutes les forces libérales et conservatrices du parlement. C’est la seule solution, et elle est surtout aux mains des républicains modérés, qui peuvent, s’ils le veulent, avec un peu de prévoyance et de raison, faciliter des rapprochemens utiles, imposés par les circonstances.

C’est l’éternelle question, il est vrai. Cette alliance est-elle possible ? Elle devrait l’être certainement, puisqu’elle est nécessaire, puisque conservateurs et républicains modérés ou constitutionnels sont également, et plus que jamais, intéressés à se retrouver sur un terrain commun de défense publique, à unir leurs efforts pour combattre le mal croissant et redoutable. Elle n’est difficile que parce que toutes les passions et les arrière-pensées de parti s’en mêlent. — C’est la faute des conservateurs, qui ne veulent pas se rallier définitivement à la république, dit-on dans un camp. — C’est la faute des républicains, qui ne veulent pas être éclairés, qui refusent de se rallier à la monarchie, dit-on dans un autre camp. — Il est certain que le dialogue peut continuer longtemps sur ce ton tant qu’on arrive à rien. En dehors de toutes les vaines récriminations, cependant, est-ce que les conservateurs, quels que soient leurs souvenirs ou leurs espérances, ont intérêt à préparer les ministères Floquet, à entrer dans des coalitions avec les radicaux, à refuser leur concours aux tentatives utiles de rapprochement, au bien possible ? Est-ce que les républicains sérieux, prévoyans à leur tour, sont intéressés à se montrer exclusifs, à confondre m’cause de la république avec une politique qui, après tout,