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un travail d’un autre genre s’accomplit dans le pays, et que de l’agitation naît une crise longuement préparée, qui menace d’atteindre le principe même des institutions libérales, toutes les garanties d’un gouvernement régulier. C’est, en d’autres termes, l’éventualité de la dictature reparaissant comme la conséquence de l’anarchie !

Il n’y a point, en effet, à se payer de mots et de subterfuges. Ce qui se passe aujourd’hui n’est point certainement l’œuvre du hasard. C’est le résultat d’une politique qui n’a été le plus souvent qu’une concession au radicalisme, à laquelle on s’est aveuglément attaché. Quoi donc ! Depuis dix ans, on prétend gouverner pour un parti, non pour le pays. Par des dépenses ruineuses, par des entreprises qui n’ont d’autre objet qu’une captation électorale, on met la confusion et la détresse dans les finances publiques ; on épuise l’état et les communes. Par les épurations de parti et le favoritisme, on affaiblit l’autorité morale de la magistrature, tous les ressorts de l’administration. Par des mesures et des vexations de secte, on met le trouble dans les esprits comme dans les foyers. On ébranle les institutions et les lois pour régner. Non-seulement on fait le mal, mais le jour où il apparaît, on se sent pour ainsi dire paralysé, impuissant à le réparer. On ne peut plus se reconnaître dans les lois, ni remettre l’équilibre dans le budget. On a créé l’instabilité partout. Et alors qu’arrive-t-il ? C’est en vérité aussi triste que simple. Une partie du pays découragée, dégoûtée, se laisse séduire par le premier mirage venu. Elle rencontre sur son chemin un chef militaire bruyant, remuant, ambitieux : elle le suit sur parole. M. le général Boulanger n’a pas de plus brillans services que d’autres ; il a fait moins que d’autres au ministère de la guerre quand il y a passé. Il est la personnification de l’indiscipline, il n’est plus aujourd’hui qu’un militaire retraité. N’importe, c’est « autre chose, » c’est l’inconnu ! L’opinion égarée, troublée, en fait son élu. Elle lui a donné près de 50,000 voix dans l’Aisne ; elle l’a nommé l’autre semaine député dans la Dordogne, elle le nommera peut-être demain dans le Nord.

Eh bien ! à ce mal grandissant, menaçant, d’un césarisme sans gloire, quel remède oppose le ministère de M. Floquet ? La politique qu’il avoue ne peut assurément que servir cet étrange prétendant et donner des soldats à son armée en augmentant la confusion, en accroissant le nombre des mécontens. Bien mieux : on dirait en vérité qu’il y a une sorte d’affinité secrète entre l’ancien commandant du 13e corps et le nouveau cabinet. Le lendemain du jour où M. le général Boulanger a été frappé, le ministère est apparu comme une satisfaction vengeresse pour lui ! Le général Boulangera écrit un programme où il a mis la révision de la constitution : M. Floquet, à son tour, a proposé la révision constitutionnelle. Le chef de la sûreté générale au ministère de l’intérieur est changé, et il se trouve que ce changement ressemble