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complaisances pour le conseil municipal de Paris. Ce qui est certain, c’est que le nouveau président du conseil a donné du premier coup la mesure de son tact, de son discernement, par le choix de ses collègues et la distribution des portefeuilles. On se serait ingénié à faire une chinoiserie ministérielle, à mettre de propos délibéré les hommes justement là où ils ne devaient pas être, qu’on n’aurait pas mieux réussi. M. de Freycinet, l’homme qui a le plus contribué à ruiner nos finances par ses travaux, à compromettre les intérêts de la France en Égypte, l’inévitable M. de Freycinet est appelé à l’administration de la guerre, et voilà, certes, un ministre bien choisi, surtout dans un moment où l’autorité militaire d’un chef respecté serait plus que jamais nécessaire pour défendre l’esprit de l’armée Il y avait un légiste quinteux, irritable, sans aucune expérience des traditions et des intérêts extérieurs de la France : on met M. Goblet aux affaires étrangères ! M. Lockroy à l’instruction publique, c’est pour la gaîté et l’amusement des écoliers ; l’Université sera certainement flattée d’avoir un grand-maître aussi sérieux et aussi entendu. On aurait dû lui laisser les cultes et le choix des évêques, c’eût été complet ! Le ministre des finances est M. Peytral, qui naguère encore présidait à la désorganisation financière dans la commission du budget et dont les projets chimériques ont été rejetés par la chambre. Les autres, sauf M. l’amiral Krantz, qui est resté à la marine et qui est toujours à sa place, sont des inconnus.

De sorte que, par sa composition comme par son origine, ce ministère n’est qu’une œuvre d’arbitraire et de fantaisie, qui ne répond ni à la vérité des choses, ni aux premières nécessités de gouvernement, ni assurément à l’intérêt bien entendu d’un régime sérieux. Il représente la désorganisation croissante, l’esprit d’agitation et d’incohérence dans les affaires publiques. Il existe parce que les radicaux ont su faire du bruit, imposer leurs prétentions, leur candidat, et la déclaration par laquelle le nouveau président du conseil a débuté auprès des deux chambres n’est certes pas de nature à laisser une illusion sur ce que peut être cette expérience d’un ministère Floquet. Le chef du cabinet est allé porter, pour sa bienvenue, au Palais-Bourbon et au Luxembourg, un programme où, au milieu d’un certain nombre de banalités, il a inscrit deux nouveautés caractéristiques, deux gages au radicalisme. Il a promis la révision constitutionnelle, qui menace le sénat ; il a aussi annoncé la séparation de l’église et de l’état, qui est une menace de plus pour la paix morale du pays. En réalité, c’est la continuation plus accentuée et aggravée d’une politique qui, même sans aller aussi loin, a déjà produit des fruits amers : c’est à merveille ! il n’y a pas assez de trouble, on agitera et on bouleversera encore. On mettra en suspens des institutions qui ne sont pas déjà trop solides, on déchaînera plus que jamais les guerres de religion et de conscience. Seulement, on ne s’aperçoit pas que pendant ce temps