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Le deuxième acte, à vrai dire, s’est refroidi plus que le premier. Quoi d’étonnant ? C’est l’acte versaillais… Vous souvient-il du mot, vous souvient-il de ce qu’il désignait. Il y a une quinzaine d’années ou une dizaine, — un siècle ! C’est à Versailles, alors, qu’étaient la tête et le cœur de la France. La tête, au jugement d’un petit grand homme qui ne l’aimait guère, — la sentant frémir sous sa main, — il se peut qu’elle fût « brouillonne, » elle n’était ni folle ni scélérate ; le cœur était pur. La machine parlementaire, encore neuve, pouvait sembler aux gens irrévérencieux un joujou : ce n’était pas un engin de destruction ni de corruption. La comédie politique, si c’était une comédie, ou plutôt les scènes accessoires qui se jouaient dans ses coulisses pouvaient se transporter sur un autre théâtre et faire sourire. Un grand miroir, — un rideau de verre, — était disposé derrière la rampe du vaudeville : y voyait-on « la princesse Bariatine, » on se la montrait assise dans une loge ; y voyait-on « le groupe Truchet, » on se le montrait à l’orchestre. Hélas ! où est la princesse Bariatine ? Où est le groupe Truchet ? Les intrigues de la princesse, qui se figurait, du haut d’une tribune de la chambre, gouverner avec un sourire, selon qu’elle relevait le coin gauche ou le coin droit de sa lèvre, — ce réseau de gentillesses où elle croyait tenir tous les représentai de la France, il s’est dissipé, comme, sous un vent d’orage, une dentelle ourdie par la reine Mab avec du fil de la vierge ! L’air est obscurci, à présent, par des toiles d’araignée plus solides, plus gluantes et plus sales… Infortuné Truchet ! Il n’est plus rien, qu’ancien député. Son groupe s’en est allé en miettes, qu’a balayées le suffrage universel. Sur le terrain où manœuvraient ces voltigeurs, armés de couteaux à papier, d’autres hommes sont venus, à qui ces amusemens ne suffisent pas. Au lieu de la princesse Bariatine, voici Mme Limousin ; au lieu du groupe Truchet, voici le Comité de protestation nationale… Que nous veulent donc ces revenans, apparus au Gymnase ? Pour que cette aimable satire nous intéresse encore, après que son objet s’est évanoui, du moins faut-il attendre qu’une autre réalité, digne d’une dérision plus amère, ait cessé de nous obséder et soit tombée en poudre à son tour. Puisse le deuxième acte de Dora nous paraître bientôt assez piquant ! .. Parce, Domine ! parce populo tuo, ne in æternum irascaris nobis

Mais le drame se noue, à l’acte suivant, avec une précision, avec une force merveilleuse. Une scène était demeurée célèbre sous ce nom : la scène des trois hommes. Dans l’esprit des amateurs, elle était devenue classique : elle peut le rester, c’est tout dire, après cette seconde épreuve. Signalée de la sorte et guettée, elle a produit le même effet qu’à l’origine : elle avait surpris l’admiration, elle la garde. On se rappelle ces trois hommes, et comment, par la volonté de l’auteur, ils sont placés : comment ils courent, sous son impulsion, ils se choquent, se séparent, vont chacun à un point extrême et enfin se rassemblent.