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Or, après ses compagnes, voici qu’Esther est venue ! Son autre nom n’est plus Hadassa, mais Dora. Au lendemain de l’expérience que le Gymnase en a faite, M. Sardou peut défier quelqu’un de répéter cet axiome : « Les pièces de Sardou ne supportent pas la reprise. » Le surlendemain, je ne dis pas ! .. Les préjugés reprennent vite leur aplomb, et ce n’est guère d’un seul coup, même heureux, qu’on les abat pour jamais. Aussi bien, M. Sardou se dispose à publier son Théâtre complet : l’entreprise est courageuse et digne. Elle aurait sa récompense, — que je lui souhaite, — si, à la suite de cette révision, une opinion nouvelle pouvait s’établir : à savoir que, parmi ces ouvrages, il en est de manques (même agréables par endroits, ceux-là ne méritaient pas d’être conservés sur la scène) ; — mais qu’il en est aussi d’une réussite exemplaire et qui plairont encore, s’il se trouve des acteurs pour les jouer. Patrie et Divorçons, il suffit de les nommer pour que tout le monde les range dans cette phalange triomphante ; — quand on récitait le fameux axiome, on les oubliait donc ? — Et, j’y pense : Patrie a déjà reparu sur l’affiche, et, si Divorçons n’a pas encore été repris, c’est qu’on l’a quitté à peine : Divorçons a failli durer éternellement ! Et non-seulement les Pattes de mouche, mais Séraphine et Fernande ont repassé devant nous, si ma mémoire est meilleure que celle des badauds ; et je ne serais pas surpris que ces mêmes badauds les applaudissent encore. Nos Intimes, les vieux Garçons, Maison neuve n’attendent qu’une occasion : je serais curieux de les revoir, et ma curiosité est sans malice. Fédora, je l’espère bien, me fera frissonner dans dix ans comme au premier soir, pourvu que Mme Sarah Bernhardt, dans dix ans, n’ait pas consenti à vieillir. Si Dieu me prête vie jusqu’à ce que les robes et les habits à la mode de 1865 soient devenus des costumes, je compte régaler mes yeux de cette comédie de mœurs : la Famille Benoiton. Avant cela, si je disposais seulement de Mme Segond-Weber et de M. Albert Lambert fils, — et de beaucoup d’argent, — je me donnerais cette fête : une reprise de la Haine. Enfin, si j’avais à composer un spectacle coupé pour un jour de gala, — pour le 14 Juillet, par exemple, — j’y mettrais de grand cœur toute la partie comique de Rabagas.

Au moins le succès de Dora, pour ce Théâtre complet qui nous est promis, semble-t-il un heureux augure. Onze ans déjà depuis que tout Paris, au vaudeville, souhaita la bienvenue à cette comédie pathétique ! .. Le premier acte aurait plu, cette fois, aussi vivement que naguère, s’il n’avait eu à vaincre une défiance qui ne s’est dissipée qu’au troisième. On trouvait cela charmant, mais c’était « une reprise de Sardou : » on ne s’amusait qu’avec timidité. Il aurait fallu y retourner, sachant qu’on serait désarmé à onze heures, pour oser se divertir avec abandon entre huit et neuf ! J’y suis allé pour vous : retournez-y pour moi. Vous aurez la meilleure part, et je ne me plains