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au bien. On a vu se produire les effets de la liberté chrétienne. D’idéal universellement imposé, la religion est devenue un idéal individuel, une tutelle d’autant plus salutaire qu’elle est librement acceptée ; les sociétés modernes ne poursuivent que des buts purement terrestres, et laissent à chacun de leurs membres le soin de choisir dans la variété des confessions et des systèmes une base plus haute de moralité. A la domination exclusive, absolue du catholicisme, et, selon le langage des économistes, au monopole religieux, s’est substituée la libre concurrence entre les églises, une rivalité de charité et de zèle dans l’accomplissement des devoirs sociaux.

Nulle part M. Janssen ne nous laisse entrevoir ce principe de la liberté chrétienne, introduit par la réforme, et qui en était l’âme cachée. Car les révolutions qui ont de si durables effets sont doubles ; et l’on peut appliquer à celle du XVIe siècle ce qu’un des adversaires de la nôtre, cité comme le plus clairvoyant, Mallet du Pan, écrivait : « Il s’est fait deux révolutions, l’une morale dans les esprits, qu’elle a pénétrés de vérités et de demi-vérités dont le fondement restera ; l’autre, scélérate et barbare, sera plus facile à extirper, une fois la force sortie de ses mains. » Les crimes et les maux s’atténuent, puis pâlissent dans la mémoire des hommes ; les bienfaits seuls subsistent, et l’on en reporte tout le mérite aux premières origines troublées et aux initiateurs, eussent-ils vécu dans l’incertitude et fini dans le découragement de leur œuvre, à laquelle se sont mêlés bien des traits équivoques, bien des motifs mesquins. Ainsi se forme la légende, seule forme vivante de l’histoire dans la conscience d’un peuple.

De son propre aveu, M. Janssen s’est proposé de détruire cette légende, et l’on a présenté son histoire comme un coup porté au cœur même du protestantisme. Mais les religions et les légendes ont la vie dure. Son œuvre n’est pas moins justifiée en tant que réponse pleine de force à ces apologies excessives du protestantisme qu’on a vues se produire en Allemagne, à l’époque du Culturkampf. L’historien a revendiqué avec éclat contre un rationalisme étroit la juste part du catholicisme dans l’œuvre commune. L’Allemagne ne s’est, en effet, retrouvée elle-même, vers la fin du siècle dernier, qu’après que le génie du moyen âge lui a été révélé par Herder et par Goethe ; elle n’a préparé son unité dans l’avenir qu’après l’avoir découverte dans son passé.

Enfin, l’histoire de M. Janssen a une portée philosophique : en se livrant à une minutieuse enquête sur les guerres et les troubles civils du XVIe siècle, M. Janssen nous fait connaître jusque dans le moindre détail l’abominable et nauséabonde cuisine des révolutions qui s’imposent par la terreur. Il a dressé l’inventaire de l’énorme