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était attaquée par des novateurs qui, presque tous, se rattachent à Jean Huss ; Luther avait étudié les livres de Jean de Wesel, qui écrivait : « Je méprise le pape, l’église et le concile, et je loue le Christ… Le pape n’est qu’un singe vêtu de pourpre ; les prêtres, des chiens et des animaux malfaisans. » Il ne fait que prêter à ces doctrines sa voix puissante, et se fait entendre de toute l’Allemagne. On en perçoit comme l’écho à travers les pages de M. Janssen. Au lieu d’imiter les historiens académiques, de nous tracer un portrait, ou de nous dresser un buste, et de donner ainsi à une figure si mouvante et si variée une unité vague et factice, M. Janssen suit l’homme à travers les différentes phases de son développement et le laisse parler. Quel langage égalerait en énergie l’éloquence de Luther, le seul mérite que l’historien catholique reconnaisse en lui ? Mais les extraits que M. Janssen a fait de ses œuvres sont tels qu’il semblerait que Luther ait pris soin d’élever contre lui-même un acte formidable d’accusation, de confesser publiquement ses erreurs, ses contradictions, ses violences et ses méfaits. C’est un visionnaire[1], ne sachant pas toujours ce qu’il fait, se disant emporté « par il ne sait quel esprit, » — remarquable exemple de ce que M. de Hartmann appellerait l’inconscient dans l’histoire ; plein de mépris pour le peuple, troupeau servile, qu’il recommande aux princes de traiter par le bâton, par la roue[2], qu’il se vantait de ramener au pape, si seulement il le voulait, et dont il cherche à mettre à profit la crédulité[3] ; proclamant la Bible la seule autorité divine, et de son propre aveu, dans sa traduction, altérant la Bible[4] ; casuiste à en

  1. Il voyait, disait-il, le diable sous toutes les figures, « une truie, un bouchon de paille enflammé, un sanglier, une étoile, etc. » (II, 175.) — « Vers la fin de sa vie, le diable ne lui laissait de repos ni jour ni nuit, les combats de nuit qu’il soutenait contre lui l’épuisaient et l’anéantissaient au point qu’il pouvait à peine haleter et reprendre haleine. » (III, 547.)
  2. « Comme les âniers qui ont besoin d’être tout le temps sur le dos de leurs bêtes, de les pousser à coups de bâton, sans quoi elles ne marchent pas ; de même le souverain doit pousser, battre, étrangler, pendre, brûler, décapiter, mettre sur la roue le peuple, Herr Omnes, pour qu’il le craigne et qu’il soit tenu en bride,. » (II, 276.) — Il s’agissait, il est vrai, de réprimer les horreurs de la guerre des paysans. Mais ce n’est pas là le langage d’un apôtre. Luther se montrait favorable au rétablissement du servage.
  3. « Le Tibre à Rome avait, disait-on, rejeté une monstrueuse bête, qui avait une tête d’âne, une gorge et un ventre de femme, un pied de bœuf, un pied d’éléphant en guise de main droite, des écailles de poisson aux jambes et une tête de dragon dans le dos… » Ces bêtes merveilleuses excitèrent l’effroi dans le peuple, et Luther et Mélanchthon se firent forts de les lui expliquer. » (II, 281.)
  4. « On a souvent cité les mots de Luther en réponse à la critique qu’on lui faisait d’avoir intercalé le mot seulement dans le passage suivant de l’épître aux Romains (3, 28) : « Car nous devons reconnaître que l’homme est seulement justifié par la foi, sans les œuvres de la loi. » — Si un nouveau papiste, écrit-il à ce propos, veut se formaliser du mot sola, seulement. Je me borne à lui répondre : Le docteur Martin Luther veut qu’il en soit ainsi et dit : Papiste et âne ne font qu’un ; sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas, car nous ne voulons être ni les élèves ni les disciples des papistes, mais leurs maîtres et leurs juges, et nous voulons nous vanter et nous glorifier avec ces têtes d’ânes. » (II, 198.)