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rondes joyeuses, « sous le tilleul embaumé du village,.. dans le calme tranquille du soir. » On accompagnait la danse de ces chants populaires, pleins de simplicité et d’harmonie, où l’on sent battre le cœur de l’Allemagne :


J’entends une faucille qui frôle, qui frôle doucement les blés ; j’entends une douce jeune fille se plaindre, elle a perdu son amoureux. O faucille, frôle encore, continue à frôler le blé avec ton bruit léger ! Moi, je connais une triste jeune fille qui a perdu son amoureux[1].


Alors régnait cette gaîté vive et légère que donne la foi sereine, et qui n’a rien de commun avec nos sombres divertissemens d’aujourd’hui.

Les écrivains de l’école romantique, Jacob Grimm, Uhland, avaient déjà fait revivre cet aspect du moyen âge. Il en est un autre, moins connu, sur lequel M. Janssen a jeté la plus vive clarté, l’état économique et l’organisation sociale de l’Allemagne pendant la période de 1450 à 1500. C’est en historien imbu des principes du socialisme chrétien que M. Janssen porte ses investigations sur les salaires, les bénéfices, le commerce, le luxe, le capital et leur influence sur les mœurs. Une quantité de documens et de faits qu’il cite et discute l’ont conduit à cette conclusion, que le progrès de l’économie sociale correspondait au rapide développement des sciences et des arts. Le sort de la classe la plus nombreuse, des populations agricoles, était en somme favorable, le servage, grâce à l’influence de l’église, généralement aboli : au contraire, il redevient fréquent à partir de la réforme. Les colons héréditaires formaient la majorité de la population ; le sol appartenait moins aux seigneurs fonciers qu’à eux-mêmes. Les propriétaires en titre ne pouvaient leur retirer la ferme pour la louer à un prix plus élevé ; ils n’avaient plus droit qu’à une corvée ou à une redevance modérée, quelquefois même étonnamment modique. D’après les données qu’il fournit, M. Janssen incline à croire que les colons, les ouvriers agricoles étaient plus heureux qu’aujourd’hui. Il estime même que, pour la condition des artisans, nous aurions beaucoup à envier au temps passé, lorsque l’ouvrier était encadré dans la corporation, dans l’association de métier, fondée sur le principe de l’union du travail et de la prière, comme dans une famille, où les mœurs des compagnons et apprentis étaient surveillées et les vices punis. Ces sociétés, librement organisées, défendaient ses droits contre le spéculateur oisif et le protégeaient contre lui-même.

  1. Tome Ier, traduction française, p. 214.