l’instruction populaire, sur la condition morale et économique de l’Allemagne, sur le sort fait à la foule immense et anonyme des humbles, à l’artisan, au laboureur, à celui que M. de Bismarck, dans ses discours, appelle le pauvre homme, que les historiens négligent d’ordinaire comme materia vilis, et dont les politiques de tous les partis commencent à s’occuper, depuis qu’il est en passe de devenir le souverain. M. Janssen se donne comme historien de la civilisation, il s’abstient de toute profession de loi confessionnelle, et s’adresse à tous ceux qui joignent à la curiosité du passé le souci du bien public.
Le premier volume, brillante introduction à l’histoire de la réforme, traite de l’Allemagne à la fin du moyen âge, de 1450 environ à 1500. L’auteur décrit, dans le plus vivant détail, avec une érudition prodigieuse, puisée aux meilleures sources, l’organisme en fonction de cet état de société que la réforme a bouleversé, et l’on a rapproché cette partie de l’ouvrage de l’évocation que M. Taine a faite de l’ancien régime, à la veille de l’incendie qui allait le dévorer. Nous possédons de ce volume une traduction française aussi exacte qu’élégante : le traducteur anonyme, dans cette longue et patiente entreprise, a fait une œuvre littéraire, et peut-être aussi un acte de foi. Tout, en effet, y converge à la glorification de l’église. Chaque page est destinée à détruire ou à atténuer en quelque manière les préjugés qui nous séparent du moyen âge comme une porte d’airain derrière laquelle on imaginait un peuple de fantômes grimaçant dans d’épaisses ténèbres. M. Janssen jette sur cette époque le soleil et le printemps à flots, parfois même il touche à l’idylle. Une sympathie chaleureuse lui a livré le secret de ces âges lointains ; à lui surtout s’applique ce témoignage de M. Lavisse : « Les écrivains catholiques allemands ont une conception plus haute, plus poétique et plus vraie de l’histoire allemande au moyen âge que les libéraux, qui prétendent la juger avec la froide raison de l’esprit contemporain[1]. » On ne saurait donc assez recommander la lecture de ce volume si nouveau, si excellemment traduit, à ces esprits attardés qui, même après le romantisme historique, après Thierry, Michelet, Ozanam, Paulin Paris, s’obstinent encore dans les traditions surannées du rationalisme français, opinions permises peut-être à la fantaisie des poètes, mais non à de simples mortels familiers avec la théorie de l’évolution, obligés d’admettre le progrès dans le passé, s’ils veulent y croire pour l’avenir.
- ↑ L’État politique de l’Allemagne, par Ernest Lavisse. (Revue du 1er juillet 1887, p. 145.)