composé « de capitaines ! » adieu les honneurs et les caresses ! Le roi ne ménage pas davantage les rêves dorés éclos à l’hôpital, en écoutant les récits sur le Nouveau-Monde. Il confisque cinq ans de suite l’argent rapporté par les aventuriers et les marchands. À quoi bon partir, alors ?
La vie devenait monotone et ennuyeuse en Espagne. L’esprit chevaleresque, surexcité par Charles-Quint très au-delà, il faut le reconnaître, de ce que comportait l’époque, restait en partie sans emploi. Il en était réduit à chercher un refuge dans la gueuserie, où l’on ne se ravalait point par le travail, où l’on s’en allait, libre et fier, « par ce monde de Dieu. » Nous l’avons vu pousser l’écuyer de Lazarillo sur la pente au bas de laquelle l’attendaient le bâton du vagabond et la besace du mendiant. Beaucoup eurent le même sort parmi la petite noblesse. L’hidalgo qui ne voulait pas prendre une alène ou vendre de la chandelle, et qui ne pouvait pas conquérir le Pérou, se fit moine ou gueux. L’écolier avide d’indépendance, et de grand air se jeta parmi les picaros. Par un étrange retour, l’horreur de ce qui est bas et plat, mesquin et bourgeois, joint à des notions grandioses, mais folles, sur l’honneur, contribua à peupler l’Espagne de drôles, Pour compléter le contraste, la même horreur inspirait au même moment à sainte Thérèse le dégoût de la dévotion facile et la haine des couvens commodes. Des aspirations communes vers la vie grande et héroïque enfantèrent, d’une part, les carmélites ; de l’autre, les héros picaresques. Une seule source produisit en haut un courant de sublimité, en bas un courant d’ignominie.
Cependant, même pour les gueux, le métier se gâtait. « Plus donne le dur que le nu, » disait le vieil aveugle, et il y avait tant de nus à présent en Espagne, que les aumônes tarissaient. Tolède elle-même, la superbe Tolède, était humiliée et déchue. Pindaro, qui l’avait connue dans sa splendeur, eut le cœur serré en la retrouvant, après une longue absence, a ruinée et déserte, sans habitans, sans commerce, sans aucune trace de l’antique opulence. » Manger à sa faim, quand on était un pauvre homme, devint une façon de miracle. Lorsqu’il se produisait, les Lazarillos n’avaient garde de s’enquérir si le miracle venait de Dieu ou du diable ; on ne s’exposait pas à être obligé de refuser un dîner. Le nôtre veillait soigneusement à ce qu’on ne troublât point son heureuse ignorance. « Lorsque je sens, dit-il, que quelqu’un veut y faire allusion, je l’arrête et lui dis : — Écoutez, si vous êtes mon ami, ne me dites rien qui me chagrine, car je ne tiens pas pour mon ami celui qui me cause de la peine, surtout si c’est pour me mettre mal avec ma femme, qui est la chose du monde que j’aime le plus… Je jurerais sur la sainte hostie qu’elle est aussi