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LES
GUEUX D’ESPAGNE

LAZARILLO DE TORMES

L’Espagne du xvie siècle nous apparaît de loin, peuplée de figures héroïques. Elle a toutes les folies : folie des conquêtes, folie de l’or, folie du ciel, folie de l’honneur et de l’amour, du sang et des tortures. Elle a des façons à elle, très nobles et un peu extravagantes, de sentir et d’agir. Ses cavaliers ressemblent au Cid, leur aïeul. Ses filles ont les traits de Chimène. Son Fernan Cortez met en action les poèmes de chevalerie. Sa sainte Thérèse[1] s’enivre d’extases. Tout ce monde est si grand, si beau, que son éclat empêche de bien distinguer les figures restées au second plan, dans l’ombre. Nous savons que Gil Blas est là, leste et fripon, et que derrière lui s’agite une foule bariolée de mendians, de voleurs de grand chemin, de gitanos et de spadassins ; mais, malgré Le Sage et les autres imitateurs des conteurs espagnols, — peut-être à cause d’eux, — cette populace, ainsi entrevue, n’a pas un aspect de réalité ; elle a des airs de populace d’opéra comique.

Les écrivains nationaux avaient pourtant pris soin de nous en

  1. Sur sainte Thérèse, voir, dans la Revue du 1er juin 1886, la Psychologie d’une sainte.