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velours, les grandes herbes ondulent gracieusement parmi les terrains vagues, et des pousses d’un rouge vif réveillent le feuillage austère des vieux chênes auxquels des bosquets de saules ou de peupliers blancs mêlent leurs pâles frissons.

Cette nature si attachante, Ruysdael en a merveilleusement exprimé la poésie. À chaque instant, aux alentours de Harlem, son nom revient à l’esprit avec le souvenir de quelqu’une de ses œuvres. Vous y pouvez suivre sa trace, retrouver la place même où il s’est assis. Ce château en ruine avec son enceinte, ses fossés et le lierre accroché à ses briques, après plus de deux cents ans, il est encore tel que le maître l’a peint, et l’eau continue à croupir dans les fossés de Bréderode, le lierre à grimper le long de ses murailles. Ces horizons immenses que l’on découvre du haut de la dune, bien souvent aussi Ruysdael en a retracé les espaces infinis. Plus souvent encore, à mi-hauteur, près d’Overveen, il s’est plu à dérouler le panorama de sa ville natale avec ses maisons, ses monumens, les tours de ses églises. Les blanchisseries et leurs pièces de toile étalées qu’il plaçait au premier plan ont disparu ; mais la silhouette de Harlem, dominée par le clocher de Saint-Bavon, se déploie comme autrefois au-dessus du bois séculaire qui fait à la vieille cité une verte ceinture[1].

Peut-être l’originalité du peintre apparaît-elle mieux encore dans des motifs plus simples dont à force de talent il a tiré un si merveilleux parti. Au milieu de ces campagnes pittoresques qui avoisinent Harlem, les moindres accidens, les coins les plus modestes suffisaient pour l’inspirer. Vous imagineriez difficilement qu’il pût trouver le sujet d’un tableau dans ce Champ de blé dont il a plus d’une fois varié les dispositions, et dont un des types les plus accomplis appartient à M. Rothan. C’est en insistant sur l’humilité même de ce sujet que Ruysdael a su le rendre expressif. Au lieu de ces blondes et abondantes moissons que, dans les contrées méridionales, un sol généreux fournit à l’homme presque sans culture, ici des épis à peine jaunissans s’agitent grêles et chétifs sous un ciel pâle, menacés par le sable qui les presse et les enserre de toutes parts. La même impression de lutte et de tristesse, nous la retrouvons plus saisissante encore dans le Buisson du Louvre, cette toile célèbre dans laquelle le maître s’est élevé à une éloquence si pathétique[2].

  1. Le musée d’Amsterdam, celui de La Haye et la collection de M. Holford, à Dorchester-House, possèdent d’excellens spécimens de ces Dunes d’Overveen, dont on peut voir aussi à la galerie de Berlin deux remarquables exemplaires.
  2. Le musée de Copenhague possède un tableau dont le motif est presque pareil et la valeur à peu près égale.