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que jamais, malgré sa gêne, on puisse rencontrer dans ses œuvres la trace d’un travail trop hâtif ou d’une négligence.

Cependant cette gêne allait croissant. C’est encore à M. Bredius que nous devons la récente découverte d’un document d’où il résulte qu’au mois de mai 1667 Ruysdael, qui habitait alors la Kalverstraat, « vis-à-vis la cour de Hollande, » se trouvait dans un état très maladif. Il avait pu toutefois se rendre chez un notaire pour y signer un testament par lequel il léguait tout son avoir à une demi-sœur née du second mariage d’Isaac, à charge par elle de payer à ce dernier toutes les rentes qu’il lui servait. Les tuteurs de la légataire, Salomon Ruysdael et son fils Jacob, le cousin du testateur, devaient veiller à l’exécution de cette clause. De quel mal souffrait le grand artiste, nous l’ignorons. Ploos Van Amstel parle de douleurs rhumatismales contractées dans ses stations au bord des marécages, et il est certain que, dans ces contrées humides et fiévreuses, l’existence du paysagiste, exposé aux intempéries, obligé de s’accommoder de tous les gîtes, devait être, en ces temps-là surtout, rude et périlleuse. La générosité de Ruysdael vis-à-vis de son père contribuait sans doute aussi beaucoup aux difficultés de sa situation. En fils dévoué, il était venu plus d’une fois à son aide, et il continua toujours à lui faire des avances, car dans un autre acte cité par Van der Willigen, Isaac, à la date du 11 avril 1668, cède à son fils, « l’honorable Jacobus, demeurant à Amsterdam, » le mobilier composant son petit avoir et « tout ce qu’il pourrait posséder à l’avenir, » afin de s’acquitter autant qu’il le peut des dettes qu’il reconnaît avoir contractées vis-à-vis de lui.

Pour essayer de se tirer d’affaire, Ruysdael acceptait toutes les tâches ; outre ses paysages norvégiens, il peignait des vues d’Amsterdam ou même des portraits de maisons de campagne appartenant à de riches Hollandais. Souvent aussi, pour se dédommager de ces travaux peu faits pour l’intéresser, il se dirigeait du côté de Harlem, et il retraçait une fois de plus les aspects familiers d’une contrée qui lui était chère. La mélancolie et la tristesse à laquelle il était enclin s’accentuaient de plus en plus dans ses œuvres, et cette disposition d’esprit n’était pas de nature à lui ramener des acheteurs. Après la gêne, la misère était venue, et sa maladie s’était probablement aggravée. Le jour arriva où il fut forcé de renoncer à ses études au dehors et même à son travail, car on ne connaît pas de tableaux de lui datés de ses dernières années. Il se sentait de plus en plus délaissé. Il ne s’était point marié ; de bonne heure, il avait perdu sa mère, et son père était mort au commencement d’octobre 1677. Malgré son talent, il n’avait pas eu d’élèves. Dans son extrême détresse, Ruysdael était donc entièrement isolé à Amsterdam. Il trouva du moins un appui dans ses coreligionnaires de