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généralement grave dans les intonations, elle montrait cette finesse de reflets et cette délicatesse de modulations qui font le charme des pays du Nord. Son dessin plus savant, toujours d’une correction irréprochable, était mis en relief par la précision de sa touche, fidèlement appropriée au rendu des nombreux détails qui entrent dans ses paysages et y mettent la variété et la vie. Cependant, le sentiment élevé qu’il avait de la nature l’empêchait de s’absorber dans ces détails ; sans jamais faire parade de sa virtuosité, il les subordonnait à l’ensemble ; tous concouraient à l’impression qu’il se proposait de produire. Aussi les tableaux de sa maturité ont-ils une tenue superbe. Dans un musée, la simplicité, la force de leur aspect, les font reconnaître entre tous et vous attirent à eux ; leur perfection vous retient, et un examen prolongé ne peut qu’accroître pour eux votre admiration.

Cet art si complet, si sérieux, si nouveau, n’était pas apprécié à sa valeur par le public ; mais Ruysdael trouvait un dédommagement de son indifférence dans la sympathie de ses confrères. Les nombreux collaborateurs auxquels il eut recours pour animer ses paysages, et la durée des relations qu’il entretint avec plusieurs d’entre eux, témoignent de l’estime qu’ils avaient pour lui. Les noms d’Adrien Van Ostade, de Berchem, qui, dès 1653, peignait les figures de ses tableaux, ceux d’Adrien Van de Velde, de Lingelbach, de Vermeer de Delft, de Gérard Van Battem et de Philippe Wouwerman, que nous retrouvons parmi eux, nous montrent que Jacob frayait avec les premiers artistes de son temps. Ce n’est pas que leur collaboration ajoute beaucoup, à notre avis du moins, au mérite de ses ouvrages. Si les plus distingués de ces artistes, Adrien Van de Velde et Vermeer, ont su sobrement, avec à-propos, associer leur talent à celui du maître, d’autres, comme Lingelbach et Berchem lui-même, ne s’effacent pas assez devant lui. Les personnages ou les animaux qu’ils peignent dans ses compositions sont trop en vue ; leur couleur, parfois un peu brutale, fait tache et détonne sur l’harmonie sévère de ses colorations. Leur présence même n’est pas toujours justifiée et s’accorde mal avec le caractère des paysages où ils sont-placés. Le plus souvent on préférerait pour ceux-ci une solitude complète, et peut-être le grand artiste l’eût-il lui-même préférée. Il était sans doute obligé de reconnaître par quelque salaire le prix du concours qu’on lui prêtait, et l’argent n’était pas chez lui trop abondant. Mais il espérait trouver ainsi meilleur accueil auprès des amateurs, et modeste comme il était, mauvais juge d’ailleurs des goûts du public, il laissait ses collaborateurs s’étaler à leur gré, sans se préoccuper assez des convenances de l’œuvre à laquelle ils participaient. Pour lui, il se contentait de faire de son mieux, sans