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paysage du musée de Berlin (901 B), — la trace de ces pillages auxquels les campagnes de la Hollande commençaient à peine à échapper. Cependant ses sujets favoris sont ceux-là mêmes que Van Goyen a le plus souvent traités : des bords de fleuves ou de canaux, comme à la Pinacothèque de Munich (n° 540, 541, 542 du catal.), ou dans le charmant tableau de M. A. Smits à Amsterdam. Il leur donne cependant une signification très personnelle par son exécution autant que par les épisodes variés qu’il y introduit : des cavaliers ou des carrosses arrêtés devant quelque hôtellerie, un bac chargé de bestiaux qui traverse un fleuve, ou des pêcheurs qui y jettent leurs filets.

Le Louvre ne possède aucun tableau de ce maître excellent, qui à Berlin, à Munich, à Rotterdam, à Copenhague, à Francfort et dans mainte collection particulière, comme chez MM. Rothan et L. Goldschmidt, est représenté par des ouvrages remarquables. Mais le Bac de Bruxelles (1647), le tableau du même nom (1657), récemment entré au musée d’Anvers (n° 665 du catal.), et surtout la Halte du Ryks-Muséum d’Amsterdam (1660), nous semblent ses chefs-d’œuvre. Dans ce dernier tableau, légué au musée par M. Dupper[1], on trouve comme un résumé du talent de Salomon. Vous diriez qu’il a voulu y accumuler les preuves de son habileté, tant l’œuvre est riche en détails de toute sorte. Cette eau courante, à laquelle s’abreuvent des vaches admirablement dessinées, ces deux coches attelés, ces cavaliers et ces dames arrêtés devant la porte d’une auberge, l’hôte et l’hôtesse qui s’empressent autour d’eux ; près de là une femme qui lave, une autre qui porte son enfant, un berger, un chien, des dindons et des poules ; au-dessus des chênes au feuillage dentelé et à l’horizon une mer de verdure que dominent au loin les deux clochers d’une église, tout cela est peint avec une sûreté magistrale et forme un ensemble dont l’harmonie olivâtre est très distinguée. Malgré la plénitude de vie qui l’anime, le tableau a une grande simplicité d’aspect, et la puissance du ton en est tout à fait merveilleuse.

Comme son frère Isaac, Salomon avait eu aussi un fils peintre, et les deux cousins, paysagistes tous deux, traitant aussi des données analogues, avaient reçu tous deux (comme pour augmenter entre eux les chances de confusion) le même prénom de Jacob[2]

  1. Une variante un peu modifiée de ce tableau, antérieure de quelques années (1655), a été également léguée au musée d’Amsterdam, en 1880, par H. Van de Poil : elle est aussi très remarquable, mais cependant de qualité un peu moindre.
  2. Suivant l’usage hollandais, on les distinguait par les noms de leurs pères, qu’ils joignaient aux leurs : Jacob Isaacszoon (fils d’Isaac) et Jacob Salomonsz. C’est ainsi qu’ils ont signé eux-mêmes au contrat de mariage de ce dernier, d’après l’acte récemment retrouvé par M. Bredius, et qu’il a bien voulu me communiquer.