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les rives basses et les touffes d’arbres d’où émerge, çà et là, le clocher de quelque hameau, tout ce qui peut caractériser la physionomie du paysage a été noté par Van Goyen. Ces croquis sont bien sommaires ; mais l’artiste est tellement familiarisé avec ces aspects que, rentré à l’atelier, il saura, sur ces simples indications, reconstituer dans leur entière vérité les motifs qui l’ont frappé pendant son expédition.

Les tableaux de Van Goyen étaient fort recherchés de son vivant ; nous les voyons figurer souvent dans les catalogues des loteries organisées par la gilde de Harlem. Leurs prix, il est vrai, ne sont pas très élevés et ne varient guère qu’entre 20 et 100 florins ; mais, grâce à sa fécondité et à son esprit d’ordre, l’artiste jouissait d’une honnête aisance. Fixé à La Haye en 1631, il y était bien vite apprécié à sa valeur. Le prince Frédéric-Henri lui faisait des commandes, et il exécutait pour la ville elle-même une grande vue de La Haye, toile assez médiocre du reste, exposée aujourd’hui dans le nouveau musée municipal de cette ville. Van Goyen était dès lors très en vogue, très estimé de ses confrères ; entré dans la gilde de Saint-Luc, il en est nommé président dès 1640. Il a pignon sur rue, et dans l’une des maisons qu’il achète en 1639, Paul Potter devenait, en 1649, son locataire ; lui-même habitait une autre maison acquise en 1646. Il mariait ses deux filles à des peintres, l’un assez peu connu, Jacob de Claeu ; l’autre célèbre, Jean Steen, le joyeux compère qui, dans plus d’un de ses tableaux, prenait plaisir à placer le portrait de Marguerite Van Goyen, qu’il avait épousée le 3 octobre 1649. Enfin, nous trouvons une nouvelle preuve de la considération dont l’habile paysagiste jouissait dans ce fait que Van der Helst et Van Dyck ont tous deux reproduit ses traits.

Désormais la voie était ouverte, et l’exemple de Van Goyen devait être aussitôt suivi. Les beautés pittoresques qui s’étaient révélées à lui le long des cours d’eau de la Hollande, d’autres allaient les découvrir parmi ses pâturages, ses forêts et ses dunes. Il appartenait à Salomon Ruysdael, le contemporain et peut-être même l’élève de Van Goyen, de continuer et d’étendre l’œuvre que celui-ci avait ainsi commencée. La famille de Salomon était depuis peu établie à Harlem ; elle venait des environs de Naarden, où il existait encore, vers 1625, quelques maisons et un château, aujourd’hui détruits, qui portaient ce nom de Ruysdael. La filiation de cette famille, assez compliquée, nous l’avons dit, était jusqu’à ces derniers temps demeurée fort obscure. Trois et peut-être même quatre de ces Ruysdael ont été paysagistes, et comme deux d’entre eux portaient le même prénom de Jacob et qu’ils ont peint des sujets à peu près pareils, on s’explique facilement les confusions qui ont pu être faites entre eux. Peu à peu, cependant, les inégalités de leurs œuvres et