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l’examen des faits et des circonstances avait modifié son impression première, il aborda de front le problème général de la conquête. « Quoique notre armée d’Afrique vous paraisse souvent beaucoup trop forte, surtout quand il s’agit de voter le budget, dit-il aux députés ses collègues, je vous déclare qu’elle est faible, comparativement à la surface du pays qu’elle a à dominer, à protéger. Si elle y suffit, ce n’est qu’en multipliant ses fatigues. J’ai demandé à nos soldats en mobilité plus peut-être qu’on ne pouvait. C’est en répétant leurs marches à l’infini, c’est en leur imposant des privations presque continuelles, que je suis parvenu à suffire aux besoins de notre domination sur cet immense territoire.

« On s’est étonné qu’il ait fallu 80,000 hommes pour faire la conquête de l’Algérie, où on n’a jamais vu, dit-on, 20,000 hommes en ligne, lorsque, avec des armées de 30,000 hommes, on a fait la conquête de l’Italie et de l’Egypte. Je ne saurais trop le redire, c’est que, dans la plupart des autres pays, surtout en Europe, il suffit de gagner une ou deux batailles décisives pour s’emparer des grands intérêts de l’ennemi, qui se trouvent concentrés sur quelques points ; mais, en Afrique, des combats même convenables n’ont rien de décisif. Ce n’est que par leur multiplicité, et en prenant les tribus les unes après les autres, que nous sommes parvenus à soumettre les Arabes. Réduire l’armée serait donc la chose la plus contraire à notre entreprise ; ce serait compromettre la conquête, ou tout au moins retarder l’époque des compensations à nos sacrifices. L’armée, par les routes qu’elle a ouvertes, n’a pas fait seulement de la stratégie, elle a encore créé des voies commerciales.

« On a blâmé trois expéditions faites l’année dernière ; on a prétendu que ces expéditions avaient uniquement pour but de conquérir de la gloire, de faire des bulletins et, passez-moi l’expression un peu triviale, de recueillir de la graine d’épinards ! (Hilarité générale.) Eh bien ! messieurs, on s’est trompé. L’armée française ne fera jamais la guerre dans ses propres intérêts : elle a trop de patriotisme pour cela. Elle la fera, quand il sera nécessaire de la faire, dans les intérêts du pays, et pas autrement. Et savez-vous pourquoi nous sommes allés à Biskra et chez les Ouled-Naïl, qui sont à 130 lieues des côtes ? Pour nous ouvrir des routes commerciales à l’intérieur. Nous avons fait ce que font les Anglais, la guerre d’intérêt ; nous avons marché, l’épée dans une main et le mètre dans l’autre.

« Les résultats généraux, vous les connaissez. Vous savez qu’Abd-el-Kader a été successivement chassé de l’édifice de granit qu’il avait créé ; cet édifice, nous l’avons démoli pièce à pièce. Nous avons soumis les tribus, une à une, par cette activité de jambes