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La Moricière, sans doute sa rédaction trahit une ignorance absolue des hommes et des choses, et ce serait une bonne fortune pour le Charivari que de l’avoir avec le commentaire du maréchal ; mais plutôt que de s’exposer à, la guerre avec l’Angleterre, la France a bien fait de terminer elle-même ses affaires. Du reste, mon ignorance des affaires politiques, auxquelles je ne me suis jamais mêlé, que je n’ai jamais vues que dans les journaux, et encore d’une manière assez peu suivie, est la cause de l’incertitude et du vague que vous avez remarqués dans mes opinions politiques. Je prends acte toutefois du reproche que vous m’adressez de ne pas avoir conservé mes tendances à l’opposition, et de n’avoir pas trouvé les choses absolument mal, avant d’avoir examiné si elles pouvaient être mieux. »

Il y avait un autre motif de désaccord entre le grand chef et son lieutenant : celui-ci tenait pour l’occupation définitive du poste de Djemma-Ghazaouat, tandis que le maréchal voulait en confier la garde à une milice locale. La question fut portée devant le maréchal Soult, qui donna gain de cause à La Moricière. Le lieutenant-colonel de Montagnac, du 15e léger, fut nommé commandant de Djemma-Ghazaouat.

Le maréchal Bugeaud s’était embarqué pour Alger ; il y trouva, le 5 septembre, un accueil enthousiaste. La victoire d’Isly faisait son tour d’Algérie ; de toutes parts, les grands chefs arabes, khalifas, aghas, kaïds, arrivèrent, plus ou moins spontanément, pour rendre hommage au vainqueur. Il y eut, le 22 septembre, sur le champ de manœuvre de Moustafa, une fête magnifique. Quelques jours plus tard, les acclamations redoublèrent : on venait de lire l’ordonnance royale qui conférait au maréchal le titre de duc d’Isly.

Ses compagnons de gloire ne furent pas oubliés : La Moricière reçut la croix de commandeur ; Bedeau fut nommé lieutenant-général et commandant de la province de Constantine ; Cavaignac maréchal de camp et commandant de la subdivision de Tlemcen. Le maréchal était loin d’avoir pour Cavaignac les sentimens d’affection qu’il portait à Bedeau ou à Saint-Arnaud, par exemple, et il avait été parfois sévère à son égard ; mais il rendait justice à son intrépidité calme et froide, à son caractère, à son esprit de devoir et de discipline.

Quand le général Cavaignac eut reçu des mains du maréchal sa lettre de service, il écrivit à l’un de ses amis la lettre suivante, qui lui fait le plus grand honneur : « Je partage complètement votre opinion sur ce qui doit rester de mes anciennes relations avec notre gouverneur-général, et je sais qu’il a mis une grande