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faire entendre des conseils pacifiques. Le 4, M. de Nion, qui avait amené son pavillon et s’était retiré à bord du Suffren, reçut du pacha d’El-Araïch une réponse mesurée dans la forme, mais insolente au fond ; car il exigeait, au nom d’Abd-er-Rahmane, l’évacuation de Lalla-Maghnia et la punition du maréchal Bugeaud. Le 5, enfin, on apprit qu’après avoir échoué dans sa mission, M. Drummond-Hay avait abandonné l’empereur aux ressentimens de la France et s’était embarqué à Mogador. Le 6, au matin, l’escadre attaqua les fortifications de Tanger, qu’elle avait ordre de détruire.

« En faisant un débarquement, dit le prince dans son rapport, j’aurais pu facilement atteindre ce but ; mais j’ai préféré agir avec le canon et mettre les batteries hors de service, en respectant le quartier des consuls, où cinq ou six boulets à peine sont allés s’égarer. » Ouvert à huit heures et demie, le feu avait cessé avant onze heures ; toutes les batteries marocaines étaient démantelées, la plus grande partie des pièces démontées ; l’ennemi avait, de son aveu, 150 morts et 400 blessés : sur l’escadre, les pertes se réduisaient à 16 blessés et à 3 morts ; les avaries étaient peu de chose.

« Pendant l’affaire, ajoute le prince de Joinville, M. Hay est arrivé de Rabat, où il s’était arrêté pour voir l’empereur ; je l’ai reçu le lendemain. Il m’a dit qu’il avait trouvé l’empereur très abattu ; la nouvelle du retrait des consuls lui était parvenue. M. Hay m’a remercié de la sollicitude que nous avons montrée à son égard. Maintenant je vais à Mogador, à l’autre bout de l’empire. Mogador est la fortune particulière de l’empereur ; outre les revenus publics, la ville est sa propriété : il en loue les maisons, les terrains. C’est, en un mot, une des sources les plus claires de son revenu. Toucher à cette ville, la ruiner ou occuper l’île qui ferme le port jusqu’à ce que nous ayons obtenu satisfaction, c’est faire à Mouley-Abd-er-Rahmane et à tout le sud de son empire un mal sensible. »

Le 8 août, dans un accès d’impatience et de mauvaise humeur, le maréchal Bugeaud avait écrit au maréchal Soult, ministre de la guerre, une lettre acerbe : « J’ai, disait-il, devant moi un camp de 15,000 à 20,000 hommes ; nous savons qu’il y a un autre camp à Taza, peut-être en route pour venir joindre celui-ci. On peut encore soulever toutes les montagnes de la côte du Rif et des Beni-Snassen, et amener contre nous tous ces montagnards ; il faudra donc attendre la concentration de toutes ces forces ! Si, au contraire, j’étais libre de faire la guerre comme elle doit être faite, je sommerais le fils de l’empereur de répondre, dans les vingt-quatre