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qu’il serait nécessaire, mais évitant jusque-là de donner, par sa présence, un nouvel aliment à l’excitation des esprits. « Un seul cas, écrivait-il au ministre de la marine, pourrait me faire passer par-dessus toutes ces considérations : c’est celui où une escadre anglaise viendrait sur les côtes du Maroc. Cette escadre est annoncée plus forte que la mienne ; si elle se borne, comme nous, à jouer de Gibraltar un rôle d’observation, rien de mieux ; mais si elle va sur les côtes du Maroc, je m’y rendrai à l’instant. Dans l’intérêt de notre dignité comme dans l’intérêt de l’influence que nous devons exercer sur les états limitrophes de nos possessions d’Afrique, il est essentiel que cette affaire du Maroc ne soit pas traitée sous le canon d’une escadre étrangère. »


V

Cependant les incidens se succédaient sur la frontière. Des Angad algériens émigrés au Maroc avaient fait savoir au maréchal Bugeaud que, s’ils n’étaient pas surveillés par les Marocains, ils rentreraient volontiers sur leur ancien territoire. Afin de les aider dans leur projet de retour, le maréchal se décida, le 30 juin, à se porter, le long de la Mouila, sur le champ de bataille du 15.

Le 2 juillet, il prit son bivouac au point où la rivière reçoit un affluent nommé Bou-Naïm, ou plus communément Isly. Aussitôt le camp marocain, qui était à 2 lieues de distance, vint s’établir à deux portées de canon. Le lendemain, voyant que les Angad n’arrivaient pas, et sachant même qu’ils avaient changé d’idée, le maréchal se retirait, quand les coureurs ennemis vinrent tirailler contre son arrière-garde. Il avait fait ses dispositions en conséquence. Après avoir attendu que le grand arc de cercle dessiné par la ligne des Marocains se fût allongé sur les deux flancs de ses colonnes, il fit brusquement volte-face et marcha sur eux ; mais ils se dérobèrent au plus vite. Alors le maréchal rétablit ses troupes au bivouac de la veille, sur l’Oued-IsIy.

Quelques jours après, il remonta la vallée de cet affluent de la Mouila, cherchant les traces de l’armée marocaine, qu’on disait campée plus haut. Il ne la trouva pas ; mais, à son approche, la deïra fut obligée de quitter le terrain qu’elle occupait depuis deux mois et de s’enfoncer plus loin dans les terres. Le 11 et le 12, il y eut de petits engagemens avec des bandes qui cherchaient à la rejoindre.

Il paraît certain que le maréchal, impatient des lenteurs de la diplomatie, eut en ce temps-là l’idée de marcher sur Fez. « On peut y aller, écrivait-il au prince de Joinville, avec 20,000 hommes