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forte et éclatante, plus elle produira sûrement l’effet que nous cherchons. La présence d’un fils du roi y servira, bien loin d’y nuire, car elle prouvera l’importance que nous y attachons et notre parti-pris d’y réussir. »

A Londres, le premier ministre, sir Robert Peel, était inquiet et ombrageux ; mais le ministre des affaires étrangères, lord Aberdeen, lié personnellement avec M. Guizot, était heureusement là pour calmer ses défiances. « Je l’ai vu hier, écrivait le 17 juin M. de Sainte-Aulaire ; il m’a annoncé qu’il envoyait immédiatement à Tanger l’ordre au consul anglais, M. Drummond-Hay, d’aller trouver Abd-er-Rahmane en personne et d’employer tous les moyens en son pouvoir pour prévenir la guerre. » Les instructions données au consul d’Angleterre et communiquées par le ministre de la reine à M. de Sainte-Aulaire étaient très nettes et très positives ; elles avaient pour objet de presser fortement l’empereur d’accorder toutes les satisfactions que réclamait la France. D’autre part, lord Aberdeen venait d’écrire aux lords de l’amirauté que le commandant de l’escadre de Gibraltar devait bien faire savoir et comprendre aux autorités marocaines que le gouvernement anglais n’avait pas l’intention « de prêter aucun appui au gouvernement marocain dans sa résistance aux demandes justes et modérées de la France, si malheureusement cette résistance devait avoir lieu. »

Après avoir mouillé, du 28 juin au 7 juillet, en rade de Mers-el-Kebir, pour se tenir en relations avec le maréchal Bugeaud, le prince de Joinville se présenta, le 9, devant Tanger. M. de Nion vint à son bord et lui apporta les preuves écrites de l’embarras où se perdait le faible Abd-er-Rahmane, ballotté entre des influences contradictoires. C’étaient deux lettres adressées au consul-général de France, l’une par Sidi-ben-Dris, principal ministre de l’empereur, l’autre par Bou-Selam-ben-Ali, pacha d’El-Araïch. Autant la première était arrogante et offensante, puisqu’elle rejetait tout le tort de l’agression du 30 mai sur les généraux français et réclamait leur punition, autant l’autre était modeste et conciliante, puisqu’elle exprimait le regret de l’empereur, éclairé par El-Ghennaouï sur les actes commis près de la frontière, et le désaveu de ces actes dont les irréguliers seuls se seraient rendus coupables. « Les affaires du Maroc, disait au maréchal Bugeaud un des notables d’Oudjda, sont conduites au hasard et selon la volonté de chaque individu ; on peut dire qu’au fond il n’y a pas de gouvernement. Nous ne pouvons démêler si l’empereur veut la guerre ou ne la veut pas. »

L’intention du prince de Joinville était de se tenir à proximité, dans les eaux de Cadix, toujours prêt à faire son apparition dès