Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/822

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans cette même dépêche, M. Guizot annonçait à M. de Nion la prochaine apparition sur les côtes du Maroc d’une escadre commandée-par le prince de Joinville. « Du reste, disait le ministre, les instructions de Son Altesse Royale sont pacifiques et partent de ce point que la guerre entre la France et le Maroc n’est pas déclarée. Sa présence sur les côtes de cet empire a plutôt pour but d’imposer et de contenir que de menacer. Nous aimons à penser qu’elle produira, sous ce rapport, un effet salutaire. »

Les coups de feu déjà tirés sur la frontière du Maroc, et surtout la démonstration navale de la France, ne pouvaient manquer d’exciter quelque émotion en Angleterre. C’est pourquoi M. Guizot prenait soin de mettre l’ambassadeur de France à Londres, le comte de Sainte-Aulaire, en état de donner aux ministres anglais les éclaircissemens qu’ils pouvaient demander. « Avant 1830, disait-il, le territoire qu’on nous conteste aujourd’hui a constamment fait partie de la Régence d’Alger ; nous occupons depuis longtemps ce territoire sans objection, sans contestation, soit de la part des habitans eux-mêmes, soit de la part des Marocains. C’est Abd-el-Kader qui, dans ces derniers temps, a cherché et trouvé ce prétexte pour exciter et compromettre contre nous l’empereur du Maroc.

« A vrai dire, ce n’est pas à l’empereur, c’est à Abd-el-Kader que nous avons affaire là. Il s’est d’abord réfugié en suppliant, puis établi en maître dans cette province d’Oudjda ; il s’est emparé sans peine de l’esprit des populations, il prêche tous les jours, il échauffe le patriotisme arabe et le fanatisme musulman ; il domine les autorités locales, menace, intimide, entraine l’empereur, et agit de là, comme d’un repaire inviolable, pour recommencer sans cesse contre nous la guerre qu’il ne peut plus soutenir sur son ancien territoire. Jugurtha n’était, je vous en réponds, ni plus habile, ni plus hardi, ni plus persévérant que cet homme-là, et s’il y a de notre temps un Salluste, l’histoire d’Abd-el-Kader mérite qu’il la raconte. Mais en rendant à l’homme cette justice, nous ne pouvons accepter la situation qu’il a prise et celle qu’il nous fait sur cette frontière.

« Voilà près de deux ans que cette situation dure et que nous nous montrons pleins de modération et de patience. Nous avons obtenu des désaveux, des promesses, des ajournemens, et quelquefois des apparences : au fond, les choses sont restées les mêmes, pour mieux dire, elles ont toujours été s’aggravant. Depuis six semaines, la guerre sainte est prêchée dans tout le Maroc ; les populations se soulèvent et s’arment partout ; l’empereur passe des revues à Fez ; ses troupes se rassemblent sur notre frontière ; elles viennent de nous attaquer sur notre territoire. Cela n’est pas tolérable. Plus la démonstration, qui est devenue indispensable, sera