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deux des escadrons de gauche, accula quelques centaines de cavaliers à l’obstacle et les sabra vigoureusement, tandis que les autres regagnaient Oudjda au plus vite. Le soir, la colonne française alla se refaire de munitions et de vivres à Lalla-Maghnia.

On sut par les prisonniers qu’un grand personnage, du nom de Sidi-el-Mamoun-ech-Chérif, allié à la famille impériale, était arrivé le matin même, avec une troupe de 500 cavaliers, des environs de Fez, et qu’en dépit des représentations du kaïd El-Ghennaouï il avait voulu engager la bataille avec les chrétiens. Sa seule inquiétude, au dire des prisonniers, était que les roumi ne lui échappassent en se réfugiant sur leurs vaisseaux, et c’est pourquoi il avait envoyé un détachement pour leur couper le chemin de la mer.

La Moricière attendait avec impatience l’arrivée du maréchal Bugeaud. « Ma conduite, lui écrivait-il, le 2 juin, prenait une apparence de timidité fâcheuse ; on me disait bloqué sous les parapets de mon fort. Aucune défection n’a encore eu lieu ; mais il est grand temps d’agir d’une manière décidée, afin de dissiper les inquiétudes de nos amis et d’arrêter l’exaltation croissante chez nos ennemis. Ce que je crois du plus grand intérêt pour nous, c’est de vous voir arriver de votre personne à Lalla-Maghnia le plus tôt possible. »

Embarqué, le 26 mai, à Dellys, le maréchal, après avoir donné quelques jours aux aûaires d’Alger, avait pris terre, le 5 juin, à Mers-el-Kébir ; le 7, il emmenait d’Oran quatre bataillons, deux pièces de campagne, 500 chevaux des Douair et des Sméla ; enfin, le 12, il faisait sa jonction avec La Moricière.


III

Dans une dépêche datée du 10 juin, au bivouac sur Tisser, le maréchal Bugeaud avait résumé en quelques lignes son opinion au sujet du conflit soulevé entre le Maroc et la France : « Si, disait-il, par le désir d’épargner à mon pays une guerre avec le Maroc, je reste dans une défensive timide, je m’expose à perdre l’Algérie. Le Maroc profitera de mon inaction pour accumuler devant moi de grandes forces ; s’il craint d’en venir à une bataille contre mes 7,000 hommes, il me débordera au loin, pénétrera derrière moi dans le pays, où ses excitations et ses proclamations l’auront précédé, pendant qu’Abd-el-Kader agira matériellement et moralement sur les peuples de l’Algérie, en longeant le désert et cherchant une trouée entre les colonnes très espacées qui gardent le Tell. Ainsi, je puis être ruiné par l’inaction où se tiendront mes principales forces sur la rive gauche de la Tafna. Quelques actes de vigueur sur les Marocains peuvent seuls, dans la situation où nous sommes,