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se joue devant les banquettes, et les membres n’affluent qu’à l’heure de rendre le verdict. « Une fois, dit lord Hervey, on vota que quarante était plus que quatre-vingt-dix. « Il est interdit de rendre compte des débats du parlement ; les imprimeurs qui osent le faire sont sévèrement punis. « Si nous ne mettons un terme à un tel abus, s’écrie à ce sujet un des membres, tous nos discours seront imprimés, et nous serons l’assemblée la plus méprisable qui existe à la surface de la terre ! » Couper le bois, voler le charbon, tuer les lapins d’un membre du parlement, autant de petits délits qui deviennent des crimes, sous le nom de « violations de privilège. » Les membres invoquent le privilège contre un bottier insolent qui réclame sa facture, et leurs valets en font autant. Comme leur signature sur une lettre donne la franchise postale, ils se font un revenu de ce monopole exorbitant, et volent le trésor de leur mieux. Vraiment, s’il est une chose dont on doive s’étonner, c’est que ce parlement n’ait pas été plus infâme, et qu’il ait eu, par instans, quelque vague notion de la grandeur et des intérêts du pays !

Walpole tombe, une génération de médiocrités immorales et malfaisantes lui succède. On ne distingue plus dans la chambre des communes que des groupes suivant la bannière d’une grande famille : au lieu des whigs et des tories, il n’y a plus que « l’intérêt » de Newcastle, « l’intérêt » des Grenville, celui du duc de Bedford. Malheur à l’homme de talent qui prétend, comme le premier Pitt, voter et parler suivant sa conscience : on le tient à l’écart, ou bien on le confine dans les bas emplois ! Le public cesse de s’intéresser à la politique. Les électeurs ne savent plus pour qui voler, et attendent, au coin du feu, le courtier qui vient acheter leurs suffrages. C’est vers ce temps que lord Bath, dans une brochure restée célèbre[1], déclare que les partis ont cessé d’exister. Près de soixante-dix-ans se sont écoulés depuis la révolution de 1688, et cette révolution, — dans le sens où l’entendent les doctrinaires, — n’est pas encore commencée !


IV.

Walpole avait été l’homme de confiance de la royauté, le favori tout-puissant, en un mot le ministre d’ancien régime : Chatham[2] fut le ministre moderne, celui qui règne par la parole et s’appuie sur l’opinion. Newcastle hésitait à faire la guerre pour ne pas se

  1. Hints from an honest man.
  2. Il n’est devenu lord Chatham que de longues années après. Je le désigne ainsi pour éviter toute confusion avec son fils, William Pitt, qui porte le même nom et le même prénom que lui.