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puissance ne s’est pas établie sans imposer au pays de lourdes charges pour l’augmentation de l’armée. L’obligation universelle du service, égale pour tous les citoyens et base de l’organisation actuelle, a été invoquée à diverses reprises avant de prendre force de loi. Affirmé comme principe politique dès le dernier siècle, le service militaire obligatoire pour tous a subi les vicissitudes propres à l’introduction de toutes les institutions justes. Tout d’abord, les classes en possession du privilège d’exemption lui ont opposé une résistance opiniâtre. Ni les malheurs de l’invasion, ni la présence de l’étranger sur le sol de la patrie, n’ont pu lui rallier l’adhésion unanime des conseillers du gouvernement. Un ministre du temps osa rester le défenseur du système de remplacement à prix d’argent au lieu du service personnel. Vaine résistance et prétention surannée, qui ne pouvaient plus tenir devant les argumens pressans des promoteurs de la réforme ! Tous les patriotes s’unirent pour faire comprendre au peuple la nécessité d’une constitution militaire conforme aux exigences du temps. Une pléiade d’écrivains inspirés s’imposa la tâche d’exciter le sentiment national, de disposer le pays aux sacrifices suprêmes. Avec l’honneur de la nation, son existence même était en jeu. La jeunesse allemande éleva à l’enthousiasme le devoir de combattre ou de mourir pour l’indépendance de la patrie.

Tandis que les étudians des universités se constituaient en association politique par le Tugendbund, ce pacte de la vertu pour la revanche et la liberté, le maréchal de Gneisenau, un des promoteurs de la loi sur la landwehr, disait : « Mon pacte à moi est la communauté de sentiment avec des hommes qui ne veulent pas être soumis à la domination étrangère. » En même temps, Arndt faisait vibrer d’une extrémité à l’autre de l’Allemagne ses accens en faveur de l’unité nationale, mêlés aux chants guerriers de Koerner. Jean-Paul Richter, l’historien philosophe, sous l’impression du même sentiment, proposait au peuple prussien « de faire un jour de pénitence, à l’anniversaire de la bataille d’Iéna, pour rallumer le courage dans la douleur, afin que la nation entière s’élève dans la tristesse, guérisse en commun ses plaies et se prépare à la nouvelle lutte. » Au milieu de ce mouvement irrésistible de rénovation, le roi Frédéric-Guillaume III, instruit par ses malheurs, en déclarant tout le peuple en armes, annonça la réforme des abus de l’ancien régime, la réparation des fautes du passé. Toutes les forces vives de la monarchie devaient être mises en œuvre, avec l’abandon des injustices de la féodalité encore debout. Une autonomie large octroyée aux communes, la possession du sol garantie aux paysans, les emplois publics rendus accessibles à tous les talens, furent