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le chancelier de Berlin et le chancelier de Vienne, à propos du deuil de l’Allemagne, prouveraient une fois de plus l’intimité particulière des deux empires et l’intention de persévérer dans cette amitié. Ici seulement tout peut dépendre des circonstances, des événemens qui surviendront, et si la mort de l’empereur Guillaume a été le signal d’une sorte de trêve ou de halte diplomatique, l’imprévu peut maintenant reprendre son rôle avec le printemps. Qu’arriverait-il, par exemple, si aux armemens russes qui continuent, dit-on, silencieusement en Pologne, l’Autriche répondait par d’autres armemens, et s’il devait en résulter des explications délicates ? Qu’arriverait-il encore si, dans les Balkans, le prince Ferdinand de Cobourg, par un coup de tête, proclamait l’indépendance de la Bulgarie et provoquait une action plus résolue de la Russie ? Ce sont des éventualités qui n’ont rien d’impossible. Comment la chancellerie de Berlin, sous Frédéric III, concilierait-elle les obligations de son alliance avec l’Autriche et son opinion avouée sur les droits de la Russie dans les Balkans, sur la nécessité de maintenir l’autorité des conventions européennes ? Là serait évidemment une épreuve pour la politique du nouveau règne, qui aurait à se prononcer, et qui se prononcerait plus que jamais, vraisemblablement, pour la paix.

Ce serait cependant bien assez de ces profonds et inévitables antagonismes, qui divisent de grandes puissances, qui peuvent être une occasion de redoutables conflits, sans y ajouter de vaines et artificielles rivalités, qui ne se fondent sur rien et ne peuvent conduire à rien. Pourrait-on dire quelles sont les raisons sérieuses, précises, de ces troubles, de ces incohérences qui règnent depuis quelque temps dans les rapports de la France et de l’Italie ? Entre les deux pays, il n’y a que des habitudes, des nécessités traditionnelles, de vie commune, des intérêts permanens de bonne intelligence. Des deux côtés, on pourrait l’assurer, il y a, dans la partie saine, laborieuse et désintéressée des deux nations, ce sentiment qu’une alliance libre, pratique, est aussi utile que naturelle, qu’elle ne pourrait même être rompue sans une sorte de violence faite à la nature des choses. Et cependant il est trop vrai que, sans motif sérieux, sans griefs réels, tout est devenu difficile, qu’on n’a pas pu même arriver à signer un traité de commerce toujours attendu, et que, faute d’une entente nécessaire, les relations commerciales des deux pays sont depuis un mois sous le coup d’une guerre de tarifs tristement préparée.

C’est une histoire assez singulière, écrite dans le dernier « livre jaune » français, aussi bien d’ailleurs que dans les papiers italiens, et, il faut l’avouer, à aucun moment la France n’a rien fait pour décider ou aggraver une crise meurtrière pour les intérêts des deux nations. C’est l’Italie qui, la première, a pris l’initiative de la dénonciation du traité de 1881, et, avant de renouer des négociations, elle s’est hâtée