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confiance, sauront le défendre des pièges de l’anarchie ou des tentations de la dictature.

Quelles seront les conséquences du grand événement dont l’Allemagne est encore émue, de cette disparition d’un souverain qui aura certes laissé d’ineffaçables traces de son passage en ce monde ? Quelle sera l’influence de ce dramatique changement de règne sur la direction de la politique allemande, sur les rapports généraux de l’Europe, sur les affaires qui restent un objet de contestation ou de délibération entre les cabinets ? C’est une question assurément complexe et délicate qui ne cesse de s’agiter sous une forme ou sous l’autre depuis que l’empereur Guillaume a quitté la vie, laissant sa double couronne à un héritier plus ferme de cœur que de santé.

Toujours est-il que le vieux souverain a eu les funérailles qui lui étaient dues, que les hommages et les cortèges ne lui ont pas manqué dans son dernier voyage au mausolée des Hohenzollern, à Charlottenbourg. La cérémonie s’est accomplie au milieu de la neige et des glaces, qui ajoutaient à la tristesse de cette scène de pompe lugubre. A défaut des souverains eux-mêmes, — encore y avait-il quelques rois, — les princes héritiers de toutes les couronnes s’étaient rendus à Berlin. L’empereur Alexandre III avait envoyé son fils, et avec le grand-duc de Russie se sont rencontrés aux obsèques impériales le prince de Galles, l’archiduc Rodolphe d’Autriche, le prince héréditaire d’Italie. Toutes les puissances se sont fait représenter par des membres de leurs familles régnantes ou par des envoyés spéciaux, et la France elle-même a tenu à ne point manquer à un devoir de courtoisie devant la mort. En un mot, tout s’est réuni pour marquer d’un éclat suprême cette éclipse du premier empereur de l’Allemagne reconstituée, — ce qu’on a appelé « l’heure historique ! » En même temps, le nouvel empereur Frédéric III prenait possession du règne avec une apparence d’énergie singulière. Ce prince, qu’on croyait retenu et fixé par la maladie aux bords de la Méditerranée, n’a point hésité un instant devant son devoir. Il est arrivé avec une promptitude presque inattendue à Berlin, où sa présence seule a suffi peut-être pour déconcerter bien des combinaisons et des calculs. Il a paru pour régner, non pour laisser régner à sa place ! A peine arrivé, il a fait acte de souverain, et par quelques faveurs qui pouvaient avoir une certaine signification, notamment celle qu’il s’est empressé d’accorder à son ancien chef d’état-major, au général de Blumenthal, et par deux actes plus significatifs encore, une proclamation au peuple prussien et un « rescrit au chancelier. » Ce sont les premiers témoignages de la pensée du nouveau souverain : ils sont assurément d’un esprit généreux et élevé. A la glorification émue de l’empereur Guillaume, de son règne, de sa politique, de tout ce qu’il a fait, se mêle un accent tout personnel d’une loyale sincérité, l’accent d’un prince qui ne craint pas de laisser