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ombrages. Lorsque M. le général Boulanger, arrivé à son tour au pouvoir par une faveur de parti, a frappé sans ménagement, même sans respect pour la loi, des princes qui restaient scrupuleusement dans leurs devoirs militaires, qui ne tenaient qu’à être les serviteurs du pays, c’était le général patriote, le vrai général républicain ! Ils ont vu avec complaisance se former cette popularité dont ils espéraient se servir, qui a survécu à la chute du ministre empanaché. Ils ont fait l’idole ou la prétendue idole, et quand ces républicains ont eu accompli la triste besogne politique qu’ils poursuivent depuis longtemps, quand ils ont eu créé la division des esprits par leurs guerres de secte, la détresse financière par leurs dépenses, l’impuissance ministérielle par l’affaiblissement de toutes les idées d’ordre, l’idole a reparu, elle était encore là comme une menace ! Il s’est trouvé que cette popularité équivoque, inexpliquée, d’un soldat justement frappé, était capable de rallier tous les mécontememens accumulés par dix années d’une politique malfaisante de parti.

Les républicains n’aiment pas les 2 décembre, c’est possible, ils ont raison ; mais ils ont le malheur de ne pouvoir résister à la tentation de couvrir de leurs hommages tout ce qui ramène aux 2 décembre ou les prépare, et c’est vraiment avec un singulier à-propos que revenait, il y a quelques jours à peine, au sénat, la question des pensions accordées à de prétendues victimes du 24 février 1848. Peu importent le chiffre de ces pensions et le nom ou le nombre des pensionnaires. Que glorifie-t-on dans cette révolution ? Tout simplement une sédition de la rue, une violation des lois qui préludait fatalement à d’autres violations de lois. Et remarquez en quels traits saisissans se dévoile l’inexorable logique des choses ! Le 24 février éclate ce qu’on a justement appelé la « catastrophe, » le 28 février, l’héritier, le prince Louis-Napoléon, est déjà à Paris, posant sa candidature, attendant son heure. Tout est là ! Quelle distinction prétend-on faire en disant que le 24 février est une « révolution, » que le 2 décembre est un « crime ? » C’est la doctrine républicaine, elle est commode. La vérité est que le 24 février est une violation des lois, et que le 2 décembre est une autre violation des lois. Les deux événemens s’enchaînent, et le premier est la préface de l’autre. Vainement l’autre jour, M. Léon Renault, avec une vive et pénétrante éloquence, s’est efforcé d’avertir les républicains, ses amis, du danger de ces commémorations de toutes les séditions de la force, de ces réhabilitations de tous les attentats de la rue ou de la caserne. Vainement cet esprit délié et ferme s’est étudié à démontrer qu’il n’y avait d’autre république possible et viable qu’une république régulière, par l’appel à tous les droits et à tous les intérêts légitimes, sur le terrain des institutions préservatrices et des lois respectées. Les républicains du sénat comme d’autres ont tenu à prouver qu’ils n’avaient rien appris ni rien oublié. C’est avec ces idées fausses qu’on est arrivé à troubler les esprits, à