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à faire et leur « grand homme » à éreinter, le prennent volontiers pour cible. Ils le raillent sur sa virtuosité; comme s’il était défendu d’être à la fois un penseur, un érudit hors ligne et un virtuose! Je ne m’associerai pas à ces légèretés de la jeune critique envers un de nos maîtres, mais je dois à M. Lecky de déclarer qu’il n’est pas un esprit négatif. C’est un positiviste chrétien : il est positiviste, puisqu’il supprime la métaphysique et le surnaturel, et il se croit chrétien, parce qu’il rend justice à la grandeur historique du christianisme et qu’il donne à sa morale la prééminence sur toutes les autres. Et si je dis qu’il est moitié positiviste, moitié chrétien, cela ne signifie pas qu’il n’est, au vrai, ni l’un ni l’autre, mais qu’il entend être, vigoureusement et nettement, l’un et l’autre, et que du mélange des deux, il fait sortir l’idée du progrès. Il nous reste à voir quelle application il a faite de cette théorie à l’histoire de son pays.


II.

Le terrain choisi par M. Lecky pour ses expériences historico-philosophiques fut le XVIIIe siècle. Ce n’était pas une terre vierge, tant s’en faut, et l’explorateur devait s’attendre à trouver « des pas dans son île. » Mais ces empreintes étaient-elles de nature à le décourager? Quelqu’un avait-il pris possession du sujet de façon à rebuter à jamais les nouveaux arrivans?

Le récit de Macaulay s’arrête, on le sait, au seuil du XVIIIe siècle. L’histoire de l’archidiacre Coxe n’est qu’une lourde et plate apologie de Walpole. L’Histoire parlementaire résume fidèlement les grands débats des chambres, mais laisse dans l’ombre, comme de raison, les faits militaires et les négociations diplomatiques. Il y a cinquante ans, lord Stanhope (alors lord Mahon) écrivit une histoire d’Angleterre au XVIIIe siècle, laquelle, faute de mieux, est restée classique. Elle s’ouvre par un rapide résumé du règne d’Anne Stuart, et se poursuit sans interruption de 1714, date de l’accession des Brunswick, jusqu’au traité de Versailles, qui termine la guerre d’Amérique. Cette histoire manque des deux choses que l’on prise le plus aujourd’hui, l’érudition et la philosophie. L’auteur est un bon homme et un grand seigneur, petit-fils, neveu ou cousin de ceux dont il raconte les actes, invinciblement attaché à la tradition, profondément respectueux des personnes royales. Il juge les hommes d’après le succès, sequitur fortunam. ., et odit damnatos. Quiconque échoue s’est trompé, et quiconque s’est trompé a tort. Il voit tout par les yeux de son parti, comme s’il prononçait un discours dans le parlement au lieu d’écrire un livre sur des événemens passés :