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de résumer éloquemment qui paraissait autrefois le secret des maîtres.

Lorsqu’on voit, comme M. Lecky, le vide que le christianisme est venu combler dans l’âme humaine, comment ne pas voir le vide qu’il y laisserait en se retirant? S’il ne s’agit que de rendre l’humanité heureuse, s’écrie l’historien-philosophe, rendez-nous les vieilles croyances! « Créant des besoins qu’elles peuvent seules satisfaire et des craintes qu’elles peuvent seules calmer, elles font sentir toute leur puissance consolatrice dans ces heures de langueur et de trouble où elle est le plus nécessaire. Nous devons bien plus à nos illusions qu’à notre science. Notre imagination, qui bâtit toujours, fait plus pour notre bonheur que notre raison, qui détruit sans cesse. L’amulette que le sauvage presse sur sa poitrine, l’image de piété qui est censée protéger une pauvre chaumière, donnent à l’âme une consolation plus réelle, aux heures sombres, aux heures de souffrance, que les plus grandioses théories de la philosophie. Quel est le premier besoin du cœur ? C’est de trouver où se prendre, où s’appuyer. Quelle est la première condition du bonheur pour les âmes ordinaires? C’est d’être affranchies du doute... Il n’y a pas d’erreur plus grave que de s’imaginer que les croyances douces resteront quand les croyances terribles auront disparu. » Non, non, tout périra ensemble, et « celui qui introduit dans le monde la conscience de notre ignorance et le déchirement du doute, celui-là se condamne lui-même et condamne les autres à des tortures qui survivront longtemps à la période de crise et de transformation. « D’où vient, disait la femme de Luther, que, dans notre ancienne foi, nous pouvions prier avec tant de ferveur et de joie, tandis que, dans notre foi nouvelle, nos prières sont si rares et si froides? » Et Sérapion, l’innocent et candide hérétique, le pauvre vieux moine, qui adorait un Dieu tout humain! Lorsqu’on l’eut détrompé, il s’inclina humblement devant l’autorité de l’église, puis il s’agenouilla au pied de l’autel, mais il ne put prier et fondit en larmes, en s’écriant : « Vous m’avez privé de mon Dieu! » Et le cri de ce vieillard, le plus simple, le plus naïf et le meilleur des idolâtres, retentit à travers les âges, et on croit entendre la foule humaine, révoltée contre les penseurs impérieux qui la guident, s’écrier avec Sérapion : « Vous m’avez privé de mon Dieu ! »

A part l’infirmité de ma traduction, et à ne considérer que l’accent qui l’anime, cette curieuse page fera songer plus d’un lecteur à M. Renan. Pourtant la comparaison serait décevante, à la fois flatteuse et injuste pour M. Lecky. C’est un peu la mode de parler cavalièrement de M. Renan. Les jeunes gens qui ont leur chemin