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REVUE LITTERAIRE

Le Bonheur, poème, par M. Sully Prudhomme. Paris, 1888 ; Lemerre.

Pour parler du poème récent de M. Sully Prudhomme, j’avais songé d’abord à le lire, — naturellement ; — et, faisant aussitôt comme si je ne l’avais pas lu, j’en voulais prendre occasion pour exposer à mon tour mes idées sur le bonheur. C’est la nouvelle manière d’entendre aujourd’hui la critique :


Ce que l’on aime en moi, madame, c’est moi-même,


disait encore hier M. Anatole France, et lorsque je m’engage à vous entretenir de Shakspeare ou de Dante, par exemple, vous entendez avec moi, continuait-il, que ce sont mes petites histoires que je vais vous conter. Oserai-je avouer que M. France m’avait à moitié persuadé ? Mais, comme j’étais prêt à dire à mes contemporains ce que je pense du bonheur, les expériences que j’en ai faites, et sous quelle forme je le rêverais, si j’en avais le temps, j’ai pensé que, depuis près de trois mois que le poème de M. Sully Prudhomme a paru, tout le monde ayant pris ce chemin, ce serait une chose originale, arrivant le dernier, que de parler du poème et du poète. S’il y a d’ailleurs toujours quelque injustice à traiter aussi négligemment une œuvre où un vrai poète a mis plusieurs années de sa vie, elle serait ici criante, où il y a donné le meilleur de lui-même. Dans ce beau poème du Bonheur, et en dépit de trop nombreuses défaillances, M. Sully Prudhomme s’est élevé assez haut pour que la critique la plus subjective, — cela veut dire la plus personnelle, — n’ait qu’à le suivre, le commenter, et l’interpréter.