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une passion, une énergie irrésistibles ; la notion d’une autre vie s’empare de toutes les âmes.

Les uns pratiquent le sabbat des juifs; les autres adorent Mithra, Isis et Sérapis. La pompe des processions séduit les yeux ; l’attrait des rites nocturnes saisit les imaginations. En hiver, au point du jour, les femmes romaines brisent la glace du Tibre pour faire les ablutions sacrées ou font à genoux le tour du champ de Tarquin. L’antique, l’étrange Pythagore, est remis à la mode. C’est à ce moment que le christianisme s’offre à l’humanité, avec des élémens de puissance et d’attraction jusque-là inconnus. « A la différence du judaïsme, il ne portait point d’entraves locales et s’adaptait aux besoins de toutes les nations et de toutes les classes. A la différence du stoïcisme, il faisait appel aux affections de la manière la plus vive et offrait tout le charme d’un culte. A la différence des croyances orientales, il alliait aux mystérieux attraits de ses dogmes un pur et noble système de morale, et se montrait prêt à le réaliser dans la pratique. Il inaugurait l’universelle fusion des classes, la fraternité des races; il proclamait la sainteté de l’amour. Pour l’esclave, c’était la religion des souffrans et des opprimés. Pour le philosophe, c’était à la fois la haute morale des derniers stoïciens et les plus beaux rêves de l’école platonicienne, développés et précisés. A un monde altéré de prodiges, la religion chrétienne apportait une histoire pleine de merveilles... A un monde qui sentait le corps social tomber en ruines et que l’avenir inquiétait, elle prophétisait la prochaine destruction du globe, avec la gloire sans fin pour ses adeptes et l’éternelle douleur pour ses ennemis. A un monde las de contempler ce froid idéal que Caton avait incarné et que Lucain avait chanté, elle présentait un idéal de compassion et d’amour. A un monde, enfin, déchiré par le conflit des philosophies et des dogmes, elle imposait sa doctrine, non plus comme une spéculation humaine, mais comme une révélation divine, dont l’autorité était dans la foi bien plus que dans la raison. » A tous ces élémens de succès, il faut ajouter, avec l’historien, que l’église était un corps admirablement organisé et cimenté par un dévoûment qui dépassait celui du patriotisme. « Ainsi, conclut M. Lecky, l’établissement du christianisme, bien loin d’être un miracle, est le mieux préparé, le plus logique, le plus nécessaire de tous les grands faits de l’histoire. »

Sont-ce là des découvertes? Ces idées sont-elles neuves ? Assurément non. L’étaient-elles il y a dix-huit ans? Pas davantage. Où donc est le mérite de l’écrivain ? Il consiste, si je ne me trompe, dans l’ampleur, dans la netteté, toutes didactiques, de l’expression, dans ces énumérations si vastes et si complètes, enfin dans cet art