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sprats, qui sont plus grandes et qui font de plus terribles razzias dans la mer. Unanimement les seines à sprats furent déclarées les plus innocentes du monde.

Le prix élevé d’une seine, quand il faut l’ajouter à celui d’un jeu de filets ordinaires, explique que l’usage ne s’en soit pas plus vite répandu. Il était possible, d’ailleurs, que l’ancien filet gardât sa raison d’être à côté de la seine, parce que seulement avec lui on prend tout poisson de même « moule, » ce qui est un avantage pour les manipulations ultérieures et la fabrication des produits de première qualité ; tandis que la fabrication courante a surtout besoin de beaucoup de sardines à bon compte, ce que donnent les seines.

En somme, toute la question se résume à ceci : notre industrie pourra-t-elle se maintenir malgré l’interdiction des filets perfectionnés ? Quand le poisson est abondant, peu importe l’engin, — on en prendra toujours assez, et il ne sera pas cher. Mais si le poisson est rare, l’ancien filet ne sera-t-il pas insuffisant ? Voilà ce qu’il faut se demander, car alors les prix monteront, et l’industrie portugaise continuant de prospérer, c’est pour nous la ruine à brève échéance. Il faut convenir que les partisans des seines font valoir des argumens qui ne sont pas tout à fait sans valeur : d’abord l’économie de rogue, mais surtout l’augmentation de salaire qui revient à la famille du pêcheur par le travail des femmes à l’usine. En 1878, les fabricans de Concarneau ont payé aux ouvrières une somme ronde de 480,000 francs, correspondant à la manipulation de 240 millions de sardines mises en boîtes. On en avait péché 440 millions, dont les fabriques n’avaient employé que les trois cinquièmes. Le reste fut pressé, anchoité, mis en saumure, vendu en vert. Tous les barils à rogue, même les vieilles caisses, avaient été mis en réquisition. Chacun s’était fait industriel d’occasion et pressait pour son compte. Ce fut partout l’abondance, en cette année dont on parle encore, mais sans comprendre la leçon qu’elle apportait. Il est bien certain que les moyens de pêche, si perfectionnés qu’on les suppose, ne fourniront pas toujours pareilles quantités de sardines. C’est l’année qui était exceptionnelle ; mais rien ne montre mieux combien les pêcheurs font un calcul inexact quand ils craignent d’avoir à souffrir de l’abondance de poisson péché.

La raison toujours invoquée pour restreindre les moyens de pêche est la protection des espèces. C’est aujourd’hui une tendance assez générale de protéger ainsi tout le monde et toutes choses. On entrave une grande industrie pour ménager, — encore n’en est-on pas bien certain, — la reproduction de quelques milliers de soles et de turbots destinés aux marchés et au luxe des grandes villes. Il est très vrai que le pêcheur vit de la prise de ces espèces une partie de l’hiver, mais c’est, en somme, un bien faible appoint sur le