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seines dans les eaux de Douarnenez et d’Audierne avant le 15 octobre était un premier pas : on est allé jusqu’au bout.

A envisager les choses de sang-froid, on demeure confondu de l’importance donnée à cette affaire des seines, grossie outre mesure par la passion des uns et l’intérêt des autres. Sur les points de la côte d’où sont partie » les plaintes les plus vives, on n’en faisait même pas usage ; l’ancien filet était seul employé : Le malheureux baudet de la fable n’a jamais été chargé d’autant d’anathèmes que ces filets perfectionnés, dont l’unique tort est de trop bien pêcher. Les moins violens ont reproché aux seines de prendre avec la sardine trois ou quatre autres espèces de poissons dont les bancs vivent mêlés aux siens : anchois, petits maquereaux, sprats ; or tout cela est de bonne prise et se vend dans les usines, qui en font aussi des conserves ; le mal n’est donc pas bien grand. Mais, dit-on, on a vu les seines rapporter des quantités d’autres poissons, de petites dorades en si grand nombre que les hommes ne savaient plus où se mettre dans la barque. Sans doute, le cas a pu se présenter. Mais on répondra que le seul fait de l’attention donnée à ces coups de filet extraordinaires, le seul fait qu’on s’en souvient et qu’on les cite après plusieurs années, est la meilleure preuve qu’ils sont bien rares. On doit aussi se demander s’ils sont un mal ; si la destruction des petites dorades ne profite pas à la sardine, en concurrence vitale avec elles dans les mêmes eaux, à la poursuite des mêmes proies.

Mais surtout on a reproché aux seines de « draguer le fond, » trois mots magiques avec lesquels il est bien facile d’allumer la guerre chez nos pêcheurs. Draguer le fond, c’est bouleverser, ruiner, dépeupler les champs de goémons et les bancs de sable où le pêcheur traînera son chalut pendant l’hiver. Draguer le fond, c’est lui retirer son pain aux mois les plus durs de l’année, c’est l’acte criminel entre tous, et pourtant lui-même ne fait que cela, et en vit. Mais il ne faut pas que ce soit avec un filet à sardines ! il ne faut pas que ce soit trop près de la côte ! Assurément, dans les baies comme celle de Douarnenez, il arriva plus d’une fois que l’immense sac des seines frôlait le fond. Comment en douter ? il revenait parsemé d’étoiles de mer, d’oursins, de bêtes toujours rampantes accrochées par leurs piquans dans les mailles. Mais le mal ici non plus n’était pas bien grand. On sait le rude effort du chalut, le lourd engin traîne des heures entières, l’armature solide portant le filet, les poids aux extrémités, la chaîne de fer bordant en dessous l’ouverture : c’est qu’il faut entrer dans le sable, faucher en quelque sorte les goémons par la racine, pour surprendre le poisson qui s’y cache. Bien différente est la seine à