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manière et se sont autant de fois trompés. Est-il même bien sûr que la science ait donné la juste raison ? Un naturaliste norvégien, M. 0. Sars, très versé dans les choses de la mer, a pensé que les bancs de harengs, en dehors de l’époque du frai, ont pu être entraînés au large à la poursuite de leur nourriture, qui se compose, comme celle de la sardine, d’embryons de mollusques et de petits crustacés errans. Quand le temps de la ponte, périodique chez le hareng, est revenu, les bancs trop éloignés des côtes ont dû chercher d’autres frayères que celles où ils avaient habitude. On a cru constater, en effet, que d’immenses nuées de petits crustacés, dans l’Atlantique nord, s’étaient un peu déplacées vers l’ouest, et M. 0. Sars a supposé une relation entre les deux phénomènes, mais voilà tout. Nous ne sommes pas même aussi avancés en ce qui touche la sardine, dont l’étude offre d’ailleurs, — hâtons-nous de le dire, — des difficultés bien autrement grandes que celle du hareng ; parce que nous manquons, avec la sardine, de tout point de repère, ne sachant ni en quels lieux elle pond, ni les causes qui l’attirent dans nos eaux, ni celles qui l’en éloignent.

On a fait, pour expliquer la prétendue diminution de la sardine, les suppositions les plus étranges. Un document officiel tout récent ne signalait pas moins de onze causes reconnues par les uns ou par les autres, comme ayant contribué à éloigner le poisson de nos baies. On s’en est pris à tout, sans même craindre le ridicule : au Gulf stream, aux bateaux à vapeur, aux pauvres diables qui traînent sur la côte leurs dragues à chevrettes pour gagner quelques sous. On a surtout fait valoir la grande destruction : « Plus on prend de sardines, moins il y en aura, » semble à première vue un raisonnement de bon sens et la vérité même. Pourtant il n’en est rien. Dans ces termes, le problème est mal posé, par cette raison qu’on ne tient pas compte de deux données capitales : 1° le volume de l’être vivant dont il s’agit ; 2° l’étendue de l’aire sur laquelle on en poursuit la destruction. On extermine l’aurochs dans les forêts de l’Europe, les loups en Angleterre, les lapins d’une garenne, les carpes d’un étang ; il est déjà beaucoup plus difficile de dépeupler complètement d’écrevisses une rivière en communication avec les autres affluens d’un grand fleuve ; on ne débarrasse pas de pucerons un jardin, fût-il grand comme la main, et vous ne pouvez pas dire que plus vous en aurez détruit, moins il y en aura l’année prochaine.

Nous jugeons, c’est l’erreur commune, des choses de l’océan par celles de la terre ferme. On croit résoudre les questions de grande pêche comme celles du dépeuplement d’un lac ou de la disparition d’un gibier recherché. C’est une grande illusion. Le continent, les eaux douces, les rivières, les fleuves, ou même les mers fermées comme la Baltique et la Méditerranée, sont des champs