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de son existence ; en quels lieux, en quels temps elle fraie, la durée certaine de sa croissance, les causes qui la poussent ou l’attirent sur nos côtes et ensuite l’en éloignent. Nous sommes réduits sur tout cela à des vues purement conjecturales, et c’est, on en conviendra, une situation fâcheuse à l’égard d’une matière première de telle importance.


II

Il est probable qu’on a salé et pressé la sardine sur la côte de l’Océan dès l’époque de la conquête romaine. C’est une industrie toute primitive et qui n’a pas dû beaucoup changer avec les siècles. En France, elle est aujourd’hui délaissée pour la fabrication des conserves à l’huile, mais le mode de pêche n’a pas varié au moins depuis deux cents ans. On prend la sardine eu l’attirant avec divers appâts dans un filet spécial. Ces appâts sont principalement la rogue et la gueldre. La rogue n’est que l’ovaire plein d’œufs des morues, salé, mis en baril et expédié par grandes quantités d’Islande, de Norvège, spécialement pour la pêche de la sardine. La gueldre est une sorte de petite crevette (mysis), qui se montre parfois en nuées épaisses à l’embouchure des rivières de Bretagne. On la prend la nuit avec des seines spéciales et on la met en saumure. L’usage s’est introduit depuis quelques années de mêler à la rogue, denrée coûteuse, une certaine quantité de farine d’arachide, qui paraît jouir aussi de la propriété d’attirer la sardine. C’est une grande économie. On a dit qu’elle diminuait la qualité du poisson et lui laissait un goût particulier. C’est affaire à débattre entre le pêcheur et l’acheteur, et celui-ci ne peut être trompé, car on retrouve toujours facilement la farine d’arachide dans le ventre de l’animal. Mais il est assez curieux de voir le même reproche fait au siècle dernier, et justement dans les mêmes termes, à la gueldre. En 1757, la Société d’agriculture et de commerce de Bretagne attestait que « la gueldre corrompt les sardines en moins de trois heures et les fait tellement fermenter qu’elles s’entr’ouvrent par le ventre. » Dans les petites choses comme dans les grandes, l’histoire se répète. On a jadis interdit la gueldre par les mêmes raisons qu’on fait valoir maintenant contre « l’emploi de la rogue dite artificielle. » La sardine s’ouvre en effet très vite par le ventre, surtout s’il fait un peu chaud. Mais c’est là une particularité bien connue des physiologistes, et la qualité de l’appât n’y est pour rien. Ce sont les sucs de l’estomac qui corrodent, digèrent ses parois dès que le sang n’y circule plus, et de même la paroi du ventre de l’animal. La sardine, ainsi détériorée, est dite, dans le commerce, « épinglée. »

Les embarcations pour la pêche de la sardine sont de grands