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de poissons qu’il faut presque tuer par violence pour qu’ils meurent quand on les a sortis de l’eau. Un turbot restera la nuit entière au fond de la barque du pêcheur qui l’a pris, et sera encore vivant. On a vu dans les aquariums des turbots mangés au quart par un poulpe et guérir. La sardine ne résiste pas à un simple frôlement ; et pour en rapporter une vivante au port, il faudrait des précautions spéciales, enlever le poisson dans une baille avec l’eau même où il nage, et encore se heurterait-il aux parois et ne vivrait-il que quelques heures.

Parvenue à tout son développement, la sardine est un peu plus petite que le hareng ; elle est alors pleine de graisse, huileuse et d’un goût médiocre. Elle pèse environ 150 grammes. On sale cette sardine, puis on la met en presse, mais on n’en fait pas de conserves à l’huile. C’est le pilchard des Anglais. En France, nos pêcheurs l’appellent sardine d’hiver ou « de dérive, » parce qu’elle se fait prendre dans les grands filets dits de dérive qu’on tend la nuit au large pour le maquereau. La sardine de dérive hante surtout nos côtes vers la fin de l’hiver. Elle vit certainement dans des eaux plus froides que pendant son jeune âge. On peut trouver jusqu’en juin des sardines presque aussi fortes, mais cependant n’ayant pas atteint toute leur taille, et beaucoup moins grasses. Puis ces sardines disparaissent. Si l’on en voit encore quelques-unes de temps à autre, c’est par exception : ce sont les retardataires, les demeurons, que toute espèce voyageuse laisse derrière elle. Alors apparaît la sardine d’été, dite « sardine de rogue. » Elle est beaucoup plus petite, avec des dimensions d’ailleurs très variables ; communément elle pèse de 12 à 15 grammes. Elle est donc jeune, et elle est aussi plus délicate, n’étant pas chargée d’huile. C’est elle qu’on prépare en boites et dont il se fait un commerce considérable sur toute la terre. Elle vient par bancs, mais comprenant beaucoup moins d’individus que les bancs de harengs. Leur présence est souvent annoncée par les vols de goélands, prêts à saisir cette proie fraîche, qu’ils préfèrent à toute autre. A certains beaux jours, la sardine s’ébat ; ses masses pressées clapotent tout à la surface de l’eau en flots d’argent. Les pêcheurs disent que parfois la nuit on l’entend sauter ; mais c’est en vain qu’ils tendraient leurs filets : on ne la prend que le jour. Vers novembre, la sardine de rogue disparaît à son tour, abandonnant aussi quelques retardataires qu’on retrouvera au ventre des merlues. Où va la sardine de rogue ? Gagne-t-elle la haute mer, descend-elle sans s’éloigner beaucoup sur les pentes de la fosse qui sépare la France de l’Espagne ? Nous n’avons actuellement aucun moyen de le savoir, nous ignorons jusqu’au sens de ses déplacemens. On n’a jamais prouvé, quoi qu’en disent les pêcheurs, qu’un banc de sardines ait gagné directement un