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habiter près du port, que commençaient à fréquenter les navires étrangers.

Grand et vraiment royal dans ses rapports avec les bâtimens de guerre et leurs officiers, Kaméhamêha se montra juste et libéral vis-à-vis des négocians et des marins qu’attiraient dans les îles le bruit de ses succès, la sécurité rétablie et son désir d’échanger contre des articles européens les produits du pays. Il aimait à se rendre compte des moindres sources de gain et profitait des leçons de l’expérience. Séduit par les profits que faisaient alors les trafiquans qui lui achetaient du bois de santal pour l’aller revendre en Chine, il se fit armateur, acquit à un prix élevé un brick américain, le chargea de santal et l’expédia en Chine. Ses mesures mal prises rendirent l’opération désastreuse ; trompé par des agens infidèles il perdit la valeur du navire, le chargement, et se trouva redevoir 3,000 piastres (15,000 francs). Ce fut son unique spéculation ; mais, en examinant et se faisant expliquer ses comptes, il y vit figurer pour une forte somme les droits d’importation à l’entrée. Peu de jours après, un édit frappait d’un droit modéré les articles venus de l’étranger, et son trésor bénéficiait de son expérience.

Deux idées dominèrent la fin de sa vie. La première était le désir de voir arriver d’Angleterre les missionnaires promis par Vancouver et l’impatience d’apprendre d’eux quelle était cette religion chrétienne dont il avait entendu parler et au sujet de laquelle il ne se lassait pas de questionner les matelots qui abordaient à Honolulu. Les réponses vagues de ces hommes, presque tous indifférent ou grossiers, ne le satisfaisaient pas ; il sentait chanceler la religion de ses pères, vil amas de pratiques bizarres ou< honteuses, pour lesquelles il ne dissimulait pas son dédain.

Sa seconde pensée était d’étendre plus loin encore ses conquêtes. Nouvel Alexandre, il portait ses regards vers le sud, et rêvait l’occupation de Tahiti, dont il était séparé par 800 lieues de mer. C’eût été un curieux spectacle que celui de ce roi barbare, à la tête de ses pirogues de guerre se lançant hardiment à travers le Pacifique, bravant les orages et les calmes de la ligne pour ajouter de nouvelles terres à son royaume, dans lequel il se sentait déjà à l’étroit. Ce ne fut qu’un rêve qu’il ne put réaliser. Le 8 mai 1819, Kaméhaméha mourait dans sa résidence de Waikiki, près de Honolulu.


III

Peu de fondateurs de dynasties, peu d’hommes vraiment grands, ont des successeurs dignes d’eux. Liholiho, fils de Kaméhaméha Ier, qui lui succéda sous le nom de Kaméhaméha II, et Kaméhaméha III, régnèrent sans éclat, gouvernèrent sans talens. Débordés par la