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peux partir, mais entends-moi d’abord. » S’animant alors, il lui raconta en peu de mots son enfance persécutée, son héritage menacé et la nécessité où il s’était trouvé de se défendre d’abord, d’attaquer ensuite, pour en finir avec des dangers sans cesse renaissons. Les dieux l’avaient favorisé, ses armes victorieuses avaient triomphé de toutes les résistances. Grâce à lui, l’anarchie avait cessé, la paix régnait dans ses possessions, et avec elle lu sécurité. Les vieilles barrières qui séparaient des peuplades parlant la même langue, ayant la même origine, étaient tombées. Pour achever et consolider son œuvre, il fallait que l’archipel tout entier n’eût qu’un maître. Il devait et voulait l’être. Quand bien même il consentirait à abandonner ses projets de conquête, ses successeurs les reprendraient. Kauaï ne pouvait pas rester isolée, indépendante, et la lutte « journée éclaterait un jour ou l’autre. Dans cette lutte, Kauaï succomberait. Pourrait-elle résister seule aux attaques combinées des autres lies ? Désireux de lui donner une preuve de sa modération, il lui proposait de le laisser gouverner en paix son royaume, si lui, Kaumualii, s’engageait à le laisser après lui à Kaméhaméha ou à son successeur, et à préparer ainsi une unité qu’il était impuissant à empêcher.

Les argumens dictés par une conviction forte, l’ascendant moral que le vainqueur de tant de chefs exerçait sur Kaumualii, le désir de coopérer, lui aussi, à cette œuvre et d’éviter à son peuple une lutte redoutable, le réduisirent au silence, puis à l’admiration. Kaméhaméha n’épargna aucune séduction pour l’entraîner. Il le traita en ami, en confident, et obtint de lui une adhésion complète. Les deux chefs échangèrent leur parole et la tinrent.

Cette victoire pacifique assurait au conquérant l’archipel entier. La dynastie des Kaméhaméha était fondée, et, avec elle, l’unité havaïenne.

Administrateur aussi habile que politique heureux et que grand capitaine, Kaméhaméha profita du prestige que lui donnaient ses succès pour organiser ses conquêtes. Dans chaque île, ses lieutenans reçurent de lui des apanages en terres, ample récompense de leurs services, mais ne leur permettant pas de se créer, sur un point donné, une position assez considérable pour résister à son autorité. Magnanime vis-à-vis des vaincus, alors qu’il pouvait l’être sans danger, il pardonna aux descendans de Kahakili, qui reçurent de lui des terres et prirent rang à sa cour. Il régla, par des ordonnances sages et conçues dans un esprit libéral, les droits de pêcherie sur les côtes et l’exploitation des forêts dans les montagnes. Devinant l’importance future de Honolulu, il abandonna, bien à regret, sa résidence favorite de Kailua, dans l’île de Havaï, pour aller