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sérieuses. Pressant le pas, les hommes qui la composaient se trouvèrent en face d’un spectacle fait pour leur inspirer une terreur superstitieuse. La division du centre ne présentait plus, quand ils la rejoignirent, qu’une Cologne de cadavres. Asphyxiée tout entière par les émanations sulfureuses, elle gisait sur le sol, en apparence endormie. On retrouve encore au sud-est du volcan de Kilauéa les ossemens blanchis des guerriers de Kéaoua.

Découragé par ce revers inattendu, convaincu que la déesse Pelé se déclarait en faveur de son ennemi, ce lieutenant battit en retraite. Kaméhaméha revenait, à force de rames, défendre son royaume menacé. Sans laisser à son adversaire le temps de raffermir ses troupes ébranlées, il lui livra bataille, le vainquit et le força à fuir dans les montagnes. Abandonné du reste de son armée et désespérant de la fortune, Kéaoua, après avoir erré quelque temps dans les solitudes de Kau, prit le parti d’aller se rendre à merci et de s’en remettre à la générosité de son vainqueur. Escorté de sept des siens, il sortit des cavernes où il s’était réfugié et traversa les montagnes qui séparent Kau de Kona. Sur son passage, il fut traité avec distinction par tous les indigènes, qui admiraient son courage, mais lui prédisaient qu’il marchait à la mort. Il la reçut, en effet, des mains de Keaumoku, un des lieutenans de Kaméhaméha. Ce dernier pleura, dit-on, ce meurtre commis sans son ordre, mais les honneurs dont il se plut par la suite à combler son lieutenant laissent à supposer que, s’il n’ordonna pas cette exécution, il la regarda comme trop utile à ses intérêts pour n’en pas récompenser l’auteur.

La mort de Kéaoua mettait un terme à toute insurrection dans Havaï. Kaméhaméha demeurait seul maître de l’Ile, mais ses succès étaient compensés par des revers à Mauï, où ses chefs, essuyant défaites sur défaites, étaient forcés d’abandonner la défensive et de ramener à Hiko les débris de leurs troupes. Confiant dans l’avenir, Kaméhaméha sut attendre des temps plus favorables.

Lors de la visite de Cook en 1778, il avait entrevu l’immense supériorité des étrangers sur son peuple. Il comprenait l’avantage qu’il y aurait pour lui à s’attacher quelques-uns de ces hommes blancs, habiles dans l’art de manier les outils, de travailler le fer, et bons navigateurs. En 1789, une goélette américaine, commandée par un nommé Metcalf, était à l’ancre sur les côtes de Mauï. Dans la nuit, des indigènes volèrent une embarcation. Une lutte s’engagea entre les matelots et les Kanaques. Ces derniers, écrasés par la mousqueterie, laissèrent plus de 100 des leurs sur la plage, mais la goélette, pour se soustraire à un retour offensif, mit précipitamment à la voile et abandonna un quartier-maître, Isaac Davis, et un matelot, John Young. Kaméhaméha arracha ces deux hommes à une mort certaine, et, à force de bons traitemens et de