enseignait dès l’enfance les chants de la peuplade et de ses ancêtres. Instruite par ses devancières, elle transmettait à d’autres ce dépôt sacré, en y ajoutant, dans le mode rythmé, le récit des événemens dont elle avait été témoin. On conçoit tout ce que ce genre de tradition avait de défectueux. Les détails oiseux abondent ; les dates manquent ; les faits d’armes, les généalogies occupent une place considérable ; la superstition assigne à chaque fait une cause surnaturelle. Il se dégage pourtant de tout cela un accent de vérité, une couleur locale, qui charment.
Je me souviens encore de longues soirées passées sur le bord de la mer à écouter, au bruit des vagues mourantes sur une plage de sable, ces récits naïfs, ces souvenirs confus des générations disparues. Comme je me sentais loin alors de l’Europe, comme tout était différent, tout, sauf les grandeurs, les crimes et les passions de la nature humaine, toujours et partout la même ! C’est dans ces chants que j’ai puisé la plupart des détails qui suivent 6ur l’histoire du passé.
Une population nombreuse, que Cook évalue à 400, 000, habitait l’archipel. Parlant la même langue, imbus des mêmes idées superstitieuses, les Kanaques, ainsi nommés du mot kanaka, qui, dans leur langue, signifie hommes, et par lequel ils se désignaient eux-mêmes, les Kanaques étaient loin de former une nation homogène, soumise aux mêmes lois, obéissant, comme aujourd’hui, à un chef unique.
Dans chaque île régnaient plusieurs chefs. D’île à île on se connaissait peu, et, dans la même île, les précipices, les montagnes, interposaient autant de barrières, constituaient autant de frontières. Le chef était sacré, lui et les siens. Il avait sur ses sujets droit de vie et de mort. Nul ne pouvait manger avec lui. C’était crime de lèse-majesté de projeter son ombre sur lui, crime aussi de pénétrer sans son ordre dans son habitation. Maître absolu de ceux qui l’entouraient, il était toutefois lui-même esclave des usages de sa race et de son rang.
Au-dessous du chef, représentant de la force brutale, et souvent à côté de lui, siégeait la force intellectuelle, personnifiée dans le prêtre, tout à la fois devin et sacrificateur de la peuplade, conseiller du chef. C’était lui qui interprétait les présages, qui prescrivait l’époque et la cérémonie du tabou, superstition religieuse commune à toute l’Océanie, et élevée, comme tant d’autres, à la hauteur d’une institution politique.
Les Kanaques avaient hérité de leur descendance asiatique le mépris de la vie humaine. Le meurtre était puni d’une légère amende ; le vol entraînait la peine de mort. Le coupable, attaché