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Nous venons d’établir les droits et l’indépendance de la psychologie physiologique dans les conditions les plus larges qu’elle puisse réclamer. Mais si une science a des droits, elle a en même temps des devoirs. Quelque large que soit le champ qu’on lui attribue, toujours est-il qu’elle a des limites. Elle doit s’arrêter là où les conditions scientifiques deviennent différentes. Elle a droit à l’indépendance, mais non pas à l’usurpation. Elle est quelque chose, mais elle n’est pas tout. Le plus grand médecin du monde ne peut pas croire que l’univers ne s’étend pas au-delà du cercle des visites qu’il fait à ses malades. La psychologie physiologique méritera d’autant plus l’indépendance, qu’elle respectera davantage l’indépendance des sciences voisines, et en particulier de celles qui viennent après elle. Par exemple, la tendance de certains physiologistes anglais à réduire le fait de conscience au minimum, au point même qu’un pas de plus il n’y aurait plus de psychologie du tout, est une singulière manière de fonder la psychologie. C’est évidemment là le résultat de cette tendance maladive de l’esprit, qui ne veut voir dans les choses que ce qui lui plaît et qui s’efforce de supprimer tout ce qui le gêne. C’est le propre de tous les pouvoirs humains qui aspirent au despotisme. C’est aussi le fait des esprits secondaires et médiocres de n’être pas capables d’avoir deux idées à la fois. L’obligation d’appliquer son attention à deux faits, dont l’un est interne et l’autre externe, dépasse la portée de leur esprit. C’est la tendance contraire, vraiment scientifique, qui a amené un illustre médecin à donner le signal de la fondation d’une société de physiologie[1], à laquelle ont été appelés non-seulement des psychologues physiologistes, mais même des psychologues purs, et même des métaphysiciens et des moralistes, sans parler d’un grand poète. C’est dans ces conditions d’union et de respect réciproques, c’est dans ces recherches pacifiques faites en commun avec un entier désintéressement et sans esprit de secte, qu’est l’avenir de ces nouvelles recherches ; et tout nous porte à croire que c’est dans cet ordre d’idées que l’enseignement de la nouvelle chaire sera dirigé. Le succès est à ce prix.


PAUL JANET.

  1. Nous voulons parler de la société fondée, il y a trois ans, par le docteur Charcot. Le règlement de cette société est très libéral. Quelques membres voulaient exclure la métaphysique des recherches de la société. C’est sur l’intervention de l’illustre président que cette exclusion a été écartée.