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l’histoire dans des ouvrages d’un vif intérêt. Sans doute, il est étrange que des facultés si hautes puissent être malades, et Jouffroy, discutant avec les physiologistes de son temps, disait que toutes les facultés intellectuelles pouvaient être malades, excepté la volonté, qui demeurait toujours intacte. Il se trompait, et la volonté peut être malade sans aucun trouble intellectuel, ou du moins sans autre trouble que celui qui est lié à celui de la volonté même. Il en est de même de ces dédoublemens étranges de personnalité, inconnus au temps de Maine de Biran, et dont le nombre s’est accru depuis qu’on y fait attention. Tous ces faits sont obscurs et difficiles à expliquer ; cela ne les empêche point d’être des faits : ou du moins la seule question est de savoir si ce sont des faits. D’ailleurs, les faits contradictoires sont le ferment de la science. Je demandais un jour à un savant célèbre ce que devenait telle découverte qu’il venait de faire : « Cela ne marche plus, me répondit-il. — Qu’arrive-t-il donc ? lui dis-je inquiet. — C’est, me répondit-il, que je ne trouve plus que des faits favorables. » Et il ajouta : « Il n’y a que les faits contradictoires qui instruisent. » C’est la vérité. Ou bien la théorie expliquera ces faits contradictoires, et elle en sera fortifiée, comme la théorie newtonienne l’a été par toutes les exceptions qu’on lui a opposées et qui sont rentrées dans la règle ; ou bien elle devra être remplacée par une théorie plus vaste et plus compréhensive. Dans les deux cas, c’est un gain pour la science, et ce gain ne serait pas obtenu, si on avait hésité, par un vain scrupule, à constater et à chercher les faits dont il s’agit.

En principe, toute science doit être indépendante de celles qui viennent après elle. La chimie, par exemple, soit organique, soit physiologique, qui étudie les conditions chimiques de la vie, n’est tenue qu’à une chose : rechercher et découvrir ces conditions chimiques ; elle n’a pas d’autre fonction. Ce n’est pas à elle à se préoccuper des intérêts de la force vitale ni de quoi que ce soit de vital. Son droit et même son devoir est de pousser aussi loin que possible l’explication chimique ; car qui le fera, si ce n’est pas elle ? Vient ensuite le physiologiste. C’est à lui qu’il appartient de mettre en lumière l’élément nouveau qui s’ajoute au premier. La chimie n’a pas à s’en préoccuper ; elle ne le ferait qu’à son détriment. Si la chimie s’était préoccupée de sauvegarder l’existence du principe vital, elle n’aurait pas fait cette belle découverte de la synthèse en chimie organique, qui a illustré le nom de M. Berthelot. Est-ce à dire que la vie ne soit qu’un fait chimique ? Non, sans doute ; mais c’est à la physiologie, non à la chimie, qu’il appartient de montrer le proprium quid qui distingue une science de l’autre.