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chaleurs (calorimétrie). Il semble donc que l’on soit déjà arrivé, et depuis longtemps, à la mesure des sensations. Mais il est facile de voir que la physique ne mesure le son, la lumière, la chaleur, que comme propriétés objectives des corps, tandis que la mesure psychologique des sensations est une question tout autre. Il s’agit ici de savoir, par exemple, si deux quantités de lumière qui sont physiquement et objectivement égales produisent deux sensations égales ; ou si deux causes lumineuses inégales produisent deux sensations inégales ; et enfin si la proportion qui existe entre les causes extérieures existe aussi entre les effets. « Il n’est personne, dit M. Ribot, qui n’ait comparé deux sensations, et remarqué qu’elles sont l’une plus forte, l’autre plus faible. Nous déclarons sans hésiter qu’il fait plus jour en plein midi qu’au clair de lune, et qu’un coup de canon fait plus de bruit qu’un coup de pistolet. » Jusqu’ici, la conscience suffit ; mais ce n’est pas là ce qu’on appelle mesurer au point de vue mathématique. Mesurer une grandeur mathématiquement, c’est chercher combien de fois cette grandeur en contient une autre prise pour unité : et c’est là ce que la conscience ne peut nous apprendre. Elle ne peut dire combien de fois une sensation en contient une autre, a Le soleil a-t-il cent fois ou mille fois plus d’éclat que la lune ? Le canon fait-il cent fois ou mille fois plus de bruit que le pistolet ? Il nous est impossible de répondre par la conscience à cette question. »

L’idée qui se présente le plus naturellement à l’esprit, c’est que la sensation croît proportionnellement à l’excitation. Par exemple, Herbart, qui le premier a essayé d’appliquer la mesure à la psychologie, trouvait tout naturel de dire que deux lumières éclairaient deux fois plus qu’une seule ; ce qui cependant n’est pas vrai. Voici quelques faits qui prouvent que la sensation ne croit pas toujours proportionnellement avec l’excitation. « Tout le monde sait, dit Delbœuf, que, dans le silence de la nuit, on entend des bruits qui, pendant le jour, passent inaperçus : le tictac de la pendule, le vent coulis qui passe par la cheminée, et d’autres bruits encore. Sans une rue pleine de tapage ou dans un train en marche, nous n’entendons pas notre voisin, ni quelquefois notre propre voix… A un poids de 10 grammes, ajoutez un autre poids de 10 grammes, vous sentirez nettement la différence ; mais si vous ajoutez le même poids de 10 grammes à un quintal, la différence n’est plus sentie. On sait que les grands concerts instrumentaux ou vocaux, où les exécutans se comptent par centaines, ne produisent pas à beaucoup près l’effet qu’on attendrait, c’est-à-dire qu’un nombre double de chanteurs ne produit pas une sensation d’une intensité double. » On voit donc qu’il peut y avoir une question à discuter, à savoir dans quelle proportion la sensation augmente ou diminue avec