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verbale. L’anatomie pathologique nous montre des lésions diverses suivant ces différentes maladies, et chacune sur un point particulier du cerveau[1].

Voilà un des cas les plus précis et les plus clairs des données de la science psychophysiologique. Cette science a pour objet la détermination des conditions physiologiques ou organiques des facultés mentales. Ici la faculté mentale est le langage : la pluralité des sièges est la condition organique ; et cette pluralité explique les singulières séparations qui se font dans certains cas morbides entre des groupes de phénomènes absolument homogènes, par exemple entre la lecture et l’écriture. Peut-on aller jusqu’à dire qu’elle explique le langage lui-même en tant que faculté psychologique ? il est permis d’en douter. C’est un cas de topographie cérébrale et de corrélation, mais rien de plus. Est-il même bien certain que tel siège du langage, par exemple celui de la parole, soit irrévocablement lié à l’existence de cette faculté ? On n’oserait pas l’affirmer ; car y il a d’autres cas pathologiques où il semble que la partie lésée a pu être remplacée par une autre partie qui se substitue à la première. C’est ce que prouve l’histoire d’une femme aphasique, chez laquelle l’autopsie montra une atrophie complète du lobe gauche, et qui cependant, ayant vécu encore une quinzaine d’années après avoir perdu la parole, l’avait peu à peu recouvrée, et avait de nouveau appris à parler : il fallait donc qu’une autre partie du cerveau se fût substituée à la première[2]. Ce fait nous prouve que nous avons encore à apprendre dans cette question.

La théorie du sens musculaire est une des plus obscures et des plus compliquées de la psychologie physiologique. Elle n’en joue pas moins un rôle très important. Ici, ce sont les philosophes qui ont précédé les physiologistes. C’est Destutt de Tracy qui, le premier, a fait remarquer l’importance du mouvement dans la théorie de la perception extérieure. Il soutint contre Condillac, qui avait négligé absolument ce fait aussi bien que les Écossais, que sans le mouvement nous ne pourrions avoir la connaissance de l’existence des corps : car c’est le mouvement arrêté qui nous donne la sensation de résistance. Maine de Biran poursuivit la théorie de Tracy, en analysant le sens de l’effort. Tracy n’avait vu que la sensation de mouvement : Biran y ajouta celle de l’effort

  1. Voici ces sièges. Nous avons déjà indiqué celui de l’aphémie de Broca. — La surdité verbale aurait pour siège la première circonvolution temporale de l’hémisphère gauche ; la cécité verbale a pour siège la partie postérieure de la seconde circonvolution pariétale ; l’agraphie, avec moins de certitude, a été localisée au pied de la douzième circonvolution frontale gauche.
  2. Ferrier, Localisations, p. 450 (traduction française).