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Pour le moment, cette disparition du souverain, qui, depuis dix-sept ans, a eu le plus de poids sur la politique du continent, a visiblement provoqué un peu partout un certain sentiment d’attente et de réserve, en ralentissant, ne fût-ce que pour quelques jours, l’action de la diplomatie. Quelle sera, en réalité, l’influence du grand événement sur la seule question assez saisissable qui touche à la paix générale et aux rapports généraux des cabinets, sur l’éternelle question bulgare? Évidemment, l’empereur Guillaume, aux derniers temps de sa vie, avait employé ce qui lui restait de forces, ce qu’il avait toujours de crédit, à empêcher cette singulière querelle de s’envenimer, à apaiser les susceptibilités russes. C’est probablement même sous l’inspiration du vieux souverain que M. de Bismarck, dans son discours retentissant du 6 février, faisait des déclarations par lesquelles il reconnaissait les droits de la Russie dans les Balkans et offrait au cabinet de Saint-Pétersbourg l’appui de sa diplomatie. De là, entre Pétersbourg et Berlin, des pourparlers intimes et une négociation préliminaire dont le résultat a été ce qu’on pourrait appeler une évolution nouvelle de l’affaire bulgare. Le cabinet du tsar, qui avait gardé depuis longtemps une silencieuse et froide réserve, n’a plus hésité, en effet, à se remettre à l’œuvre, en provoquant le sultan à frapper d’un nouveau décret d’illégalité le gouvernement du prince Ferdinand de Cobourg à Sofia. Comme il l’avait dit, M. de Bismarck s’est empressé d’appuyer la Russie auprès du divan; la France s’est jointe aux deux cabinets, et la Porte, pressée par les trois puissances, particulièrement peut-être par l’Allemagne, s’est exécutée : elle a envoyé par le télégraphe son arrêt d’illégalité au prince Ferdinand de Cobourg ! Malheureusement, il manque toujours dans cette démarche une chose essentielle, l’accord de tous les signataires du traité de Berlin. Trois puissances signifient à Sofia une illégalité qui est trop claire; trois autres puissances, l’Autriche, l’Angleterre et l’Italie, gardent jusqu’ici un silence qui est trop significatif. Entre les deux camps, le prince Ferdinand s’est dit, sans doute, qu’il n’avait pas à s’émouvoir d’une déclaration sans conséquence.

Il reste maintenant à savoir ce que fera le cabinet de Pétersbourg et dans quelle mesure, jusqu’à quel point, le cabinet de Berlin se décidera à suivre le tsar. Tout dépend évidemment des nouveaux rapports que l’Allemagne va avoir avec la Russie dans le nouveau règne, de la pression que M. de Bismarck pourra exercer sur l’Autriche, du degré de résistance qu’opposera la cour devienne. Une chose est certaine, c’est que cette situation, presque aussi ridicule que dangereuse, ne peut pourtant pas durer. Si on en reste là, s’il n’y a aucun dénoûment, la Russie n’interviendra peut-être pas par les armes ; mais elle rentrera dans sa réserve assez menaçante, elle ne reconnaîtra rien, elle attendra avec son imperturbable vigilance les événemens, peut-être une révolution