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il était peut-être peu sensible. Jusque-là, le prince Guillaume avait été peu mêlé à la politique. L’élévation au trône de son frère aîné, le fantasque, spirituel et romantique Frédéric-Guillaume IV, qui n’avait pas d’enfans, lui créait une position nouvelle en faisant de lui l’héritier de la couronne.

On était en 1840. Le prince Guillaume n’était plus déjà un jeune homme. Il avait été nourri des opinions absolutistes et féodales qui régnaient encore à la cour, et quoiqu’il fût toujours le plus soumis des sujets du roi, il ne cachait pas ses craintes au sujet des réformes constitutionnelles que méditait l’imagination nuageuse de son frère. Il se montrait surtout opposé à tout ce qui pourrait limiter les droits de la couronne, en mettant à la discrétion d’un parlement les dépenses essentielles de l’état ou les affaires étrangères. Il allait presque jusqu’à une protestation ; il était, dans tous les cas, si publiquement désigné comme le chef des adversaires des réformes libérales, que bientôt, dans les mouvemens révolutionnaires de Berlin, au mois de mars 1848, il devenait l’objet des animadversions populaires, et le roi, pour le préserver, ne trouvait rien de mieux que de lui infliger une sorte d’exil en Angleterre. Ce n’est qu’après quelque temps, lorsque les réactions étaient partout victorieuses, que le prince de Prusse pouvait rentrer en Allemagne. Encore restait-il le plus souvent à Bade, où il était d’abord chargé de réprimer une échauffourée peu sérieuse, et à Coblentz, où il avait, où il a gardé longtemps un grand commandement militaire. Chose curieuse ! le prince Guillaume avait été exilé un moment, en 1848, pour ses opinions réactionnaires, et avant que quelques années fussent passées, il se voyait disgracié, mis en suspicion à la cour, pour ses opinions libérales : tout avait déjà changé de face. Ces années n’avaient pas été heureuses pour la Prusse, obligée de renoncer à des ambitions un instant caressées, réduite à s’humilier devant l’attitude hautaine de l’Autriche à Olmütz, La guerre d’Orient venait d’éclater : le prince Guillaume aurait voulu que la Prusse saisît cette occasion de se relever, de prendre un rôle plus actif. Il paraissait personnellement favorable aux puissances occidentales, surtout à l’Angleterre, avec qui il allait bientôt se créer un lien de plus par le mariage projeté de son fils avec la fille aînée de la reine Victoria. Retiré dans sa petite cour de Coblentz, où régnait la princesse Augusta, objet des jalousies de la reine de Prusse, le prince Guillaume ressemblait à un chef d’opposition. Il avait pour amis et alliés des libéraux, les Bonin, les Bethmann-Hollweg, les Bunsen, les Usedom. La situation ne laissait pas d’être tendue quelquefois entre Berlin et Coblentz, lorsqu’un nouveau coup de théâtre simplifiait tout ou changeait tout. Le roi venait d’être frappé d’un mal incurable ; le prince Guillaume se trouvait appelé à prendre la direction des affaires, d’abord comme régent en 1858, puis comme roi lui-même à la place