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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 mars.

La mort de l’empereur Guillaume, qui vient de retentir en Europe, eût été à toute heure sans doute un événement mémorable. Toujours attendue désormais comme une inexorable fatalité de l’âge, elle devait être une épreuve pour le monde, on le savait bien. Si cette disparition à la fois prévue et si soudaine du vieux souverain prend aujourd’hui un caractère plus particulièrement saisissant, c’est qu’elle se produit dans des circonstances extraordinaires ; c’est qu’elle n’est qu’une péripétie de plus dans ce drame semi-public, semi-intime, qui s’est déroulé depuis quelques mois entre San-Remo et Berlin, que l’Allemagne, l’Europe, tous les peuples n’ont cessé de suivre avec une attention émue.

Rien de plus tragique, en effet, que cette situation, peut-être unique, où tant de problèmes, tant de calculs et de passions s’agitaient autour du premier héritier de l’empire d’Allemagne, retenu dans une petite ville des bords de la Méditerranée, aux prises avec un mal redoutable, loin de son père, le vieil empereur, penchant lui-même de plus en plus vers la tombe. Tout s’est réuni, et le malheur d’un prince frappé dans sa virilité, et le dévoûment pathétique d’une princesse disputant son mari à la mort, et les conflits de la science autour du patient, et les ambitions de famille, et les luttes de la raison d’état contre une fierté invincible, et tous ces doutes qui sont comme la moralité du drame, qui se sont reproduits jusqu’à la dernière heure : qui régnera en Allemagne? Le malade de San-Remo, le prince Frédéric-Guillaume, vivra-t-il assez pour succéder à son père, pour être à son tour, ne fût-ce qu’un instant, empereur et roi? La couronne du nonagénaire de Berlin passera-t-elle, sans s’arrêter sur le front du premier héritier, à