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Une conception qui contient une aussi grande part de vérité était bien faite pour nous éblouir ; un instant, elle a triomphé seule. Puis on s’est aperçu qu’elle était incomplète, partant peu durable, si on ne corrigeait pas ce qu’elle a de trop absolu. Elle enjoint à l’homme de se conformer en tout aux lois naturelles, alors qu’il se sent fait pour réagir contre ces lois au nom de certains principes abstraits de justice, de pitié, de morale. Elle ne compte pas avec la faible part de liberté et le petit pouvoir de redressement que l’homme constate dans ses moindres actions. Comment on accordera une dérogation nécessaire avec des lois aussi bien démontrées, comment la logique rigoureuse en prendra son parti, c’est l’affaire des métaphysiciens de l’avenir. Qui possède le dernier secret de la logique? Mais dans la pratique quotidienne de ses raisonnemens et de ses actes, l’homme, tout en s’inclinant devant l’ordre immuable de la nature, ne supporte pas cette élimination totale de ce qu’il sent en lui de plus fort et de meilleur. Placé entre deux évidences, il n’entend sacrifier ni l’une ni l’autre aux exigences de la logique; il préfère sacrifier celle-ci.

Une réaction devait donc se produire dans la littérature pour donner satisfaction à ces sentimens. Auprès d’esprits prévenus, elle ne pouvait réussir qu’à la condition de jeter par-dessus bord le spiritualisme dogmatique, celui qui refuse de transiger avec la doctrine victorieuse. Elle devait se borner d’abord à reverser timidement un peu de liberté et de bonté morales dans les rouages de l’aveugle et rude machine dont on a déchiré les voiles ; elle devait y réintroduire quelque chose d’humain, et à la suite quelque chose de divin. Car il serait trop grotesque de faire résider dans l’homme seul un pouvoir rectificatif du grand pouvoir de la nature ; et l’unique compromis acceptable avec la logique, c’est de concevoir dans l’infini un directeur commun, un conciliateur suprême des lois naturelles et de la liberté humaine. Les symptômes de la réaction apparaissent nombreux. Le plus décisif, c’est la fortune croissante des écrivains russes, venus à l’heure propice; en face de la convention matérialiste sur laquelle nous vivions, et que M. Zola a représentée avec éclat, ils élèvent leur convention morale et mystique. Elle se heurte dans leurs livres à notre explication rationnelle du monde, qui leur est familière ; et par là ces livres répondent à un ensemble de besoins contradictoires; ils contiennent le plus vieux, le plus passionnant des drames, celui qui, sous des noms divers, occupe l’homme depuis qu’il pense : l’antagonisme entre sa conscience et la fatalité des choses.

C’est ce drame dont on voudrait retrouver plus souvent le frisson au théâtre. Malgré des efforts répétés, la convention matérialiste